Gétsémané Dimanche 20 mai 2012

Seule la foi en Jésus Christ peut nous permettre de
comprendre que l’espérance peut jaillir
au cœur d’un échec total. Seul Jésus peut
dire un échec en termes positifs
et dire l’espérance au cœur des
drames. Mais est-il toujours possible de
voir la main de Dieu agir quand tout s’effondre autour de nous? Qui saura faire
avec sagesse le bilan positif d’une vie anéantie?
Tout cela nous pose vraiment question, cependant notre
existence n’aurait aucun sens si Dieu ne
venait accompagner par sa présence les drames de notre vie. Mais comment voir
cette présence quand nous sommes aveuglés par ce qui devient incompréhensible à
notre raison? Pourquoi Dieu semble-t-il absent quand nous souffrons le
plus ? A travers l’expérience de Jésus nous espérons trouver une réponse,
car nous savons que Dieu agit même si le malin nous cache sa présence.
Dans ces paroles de la prière sacerdotale, que l’Evangéliste Jean place dans la bouche
de Jésus, nous avons la réponse de Dieu à tous les drames vécus par les hommes. Jésus se trouve
dans une situation d’échec total et la mort en est la seule issue. Plus rien ne
devrait avoir de sens pour lui. Ses amis qui l’entourent encore ne comprennent rien à sa situation et chacun à son tour va l’abandonner à la
nuit du désespoir. Il va mourir d’une mort qu’il a choisie mais que personne ne
comprend, et cela ne fait qu’accroître le sentiment d’abandon qu’il ressent. Le
traître est déjà en train de faire son
œuvre.
Ce décor d’angoisse que je viens de décrire a été planté par
les autres Evangiles, mais il reste en toile de fond pour cette ultime prière que Jésus prononce pour nous. Dans ce décor de
cauchemar, jaillit la plus forte protestation d’espérance que peut proférer un
humain. L’Evangéliste nous montre que Dieu peut être présent dans les drames de la vie, même si ce n’est pas
cette présence là que nous souhaitons.
Nous comprenons qu’il peut
donner du sens à l’aventure humaine, même quand elle n'en a plus. Nous
pouvons alors actualiser tous nos échecs
dans ce récit et entendre Jésus dire
pour chacun de nous: « Père,
je veux que là où je suis ceux que tu m’as donnés soient aussi... ».
Mais si nous comprenons que Dieu est présent et donne du sens à ce qui n’en a
pas, nous ne comprenons pas pourquoi il reste impuissant à modifier le cours
des choses
Jésus se situe dans ce monde ci, celui où nous sommes, mais
il se tient à la frontière d’un autre
monde que nous ne connaissons pas encore mais où se situe la vérité de Dieu. Le
monde où nous sommes avec ses drames et ses échecs fait écran et nous empêche
de voir une autre réalité qui est tout aussi réelle que celle du monde où nous
sommes.
Jésus nous permet d'entrevoir cette nouveauté et crée de la sérénité là où nous ne voyons que
tristesse et souffrance. Il ne puise pas sa sérénité dans une sagesse spéciale
qu’il serait le seul à connaître. Il la puise dans sa compréhension des Ecritures où il
trouve un motif d'espérance. Il intègre
complètement cette espérance et nous la rend possible. Il l’intègre tellement qu’il finit par
s’identifier à Dieu au point d’être confondu avec lui. C'est par l'espérance qu'il puise dans
l'Ecriture qu'il se fait si proche de Dieu qu'il se confond avec lui.

Le chemin qu'il
propose est celui que peut suivre tout individu, s’il est guidé correctement.
Jésus nous donne l’exemple et se propose d’être notre guide, tel Virgile dans
la divine comédie guidant les pas de Dante ou tel l'ange guidant les pas de
Jean dans l'Apocalypse, mais rien ne se fait
sans peine et sans effort.
Tout a commencé à l’origine du monde. C’est là qu’il nous
entraîne quand il dit: « Tu m’as
aimé dès avant la fondation du monde » Il nous ramène à l’origine de toute chose,
quand après que le monde ait surgi hors
du néant, Dieu s’est intéressé à
lui. Jésus a compris, le premier avant tous, qu’avant même que le monde soit,
Dieu qui était déjà amour, se préparait
à animer de cet amour les êtres pensants
qui allaient devenir ses vis à vis et
qu'il commençait déjà à aimer.
Autrement dit, avant
même que ne retentisse dans l’univers qui n’existait pas encore, le fracas du
big bang qu’aucune oreille n’avait pu
entendre puisqu’il n’y en avait pas encore une seule, avant même que ce moment mythique
ne se produise, existait déjà une pulsion d'amour qui allait
animer ce qui n'était pas encore créé.
Mais cela ne voulait pas dire que
l’évolution du monde ne se ferait pas sans souffrance. Il n’était pas dit que
malgré l’amour que Dieu allait prodiguer aux hommes, ceux-ci échapperaient aux
difficultés de l’existence qu’ils allaient mener. Il n’était pas dit non plus
que les hommes par leur péché allaient en rajouter.

On aurait pu penser
que s'étant approché de Dieu jusqu'à
ce point, il allait entrer tout
vivant dans le mystère de Dieu. Il n’en fut rien. Il aurait pu être comme ces grands sages de l’Inde qui à
force d’ascèse et d’abstinence arrivent à s’identifier au divin si bien que
leur apparence physique tend à s’estomper jusqu’à disparaître. On aurait pu
croire que Jésus allait vivre la même initiation et que sa vie allait se
terminer en étant absorbé par le divin.
.
Mais il en a été autrement.
Pour entraîner tous les hommes à sa suite il a consenti à aller jusqu' aux portes du néant pour que le néant
s’ouvre sur l’Eternité, pour tous
ceux qui le suivraient. Tout cela ne pouvait s’achever dans une pirouette où on
aurait vu Jésus absorbé par le
divin. Il fallait que son action concerne aussi la matière. L’affrontement
avec la mort devenait inévitable. Il fallait que le divin s’empare du néant et
de la mort. La fin de Jésus telle que nous la connaissons devenait désormais
inévitable. C’est donc porteur des promesses déjà contenues dans tout ce qui a
préludé à la création que Jésus a vu venir la mort vers lui et qu’elle est
devenue vie et éternité. La victoire sur la mort signifie donc qu’il n’y a
désormais aucun lieu d’exclusion, aucune situation d’échec irrémédiable où Dieu
ne puisse apporter une note d’espérance.
Tout cela en termes clairs signifie que depuis toujours Dieu
s’efforce d’intégrer tous les drames humains, qu’il n’est indifférent à aucun
échec. Jésus a montré que par sa mort le désespoir n’a aucune place dans les
projets de Dieu pour les hommes. Bien entendu, le malin s’acharne à brouiller
les cartes et à mettre en nous la perturbation, mais il ne peut anéantir
l’espace d’éternité que Dieu a inscrit en chacun de nous.