Dimanche 13 mai 2012
9Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon
amour. 10Si vous gardez mes
commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les
commandements de mon Père et je demeure dans son amour.
12Voici mon commandement : que vous vous aimiez
les uns les autres comme je vous ai aimés. 13Personne n'a de plus grand
amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis. 14Vous, vous êtes mes amis si
vous faites ce que, moi, je vous commande. 15Je ne vous appelle plus
esclaves, parce que l'esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai
appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai entendu de
mon Père. 16Ce
n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et institués
pour que, vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit
demeure ; afin que le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en
mon nom.
17Ce que je vous commande, c'est que vous vous aimiez
les uns les autres.
- Peut-on aimer si on n'éprouve aucun sentiment pour l'autre?
- Ne pas répondre à la violence
de celui qui vous humilie est-ce de l’amour ?
Si on répond par l'affirmative à
ces deux questions n'éprouvera-t-on pas une profonde frustration? Peut-on alors trouver une satisfaction dans
la frustration ? Derrière ces quelques remarques se cachent bien évidemment toutes les
questions que nous formulons quand l’Évangile nous propose de trouver notre bonheur dans des
attitudes que nous pourrions qualifier
de vexatoires ou d’aliénantes. "Heureux
serez-vous quand on vous outragera, aimez vos ennemis, priez pour ceux qui persécutent. » Voila
des textes, tant de fois cités qui permettent au nom d’un idéal évangélique mal
compris, de justifier des situations
parfois choquantes.
Il paraît tout à fait évident et
conforme à notre nature humaine de
considérer que le but de notre vie est d’être heureux, c'est pourquoi chacun
cherche à sa manière le secret du bonheur. Nous pensons qu’il réside dans l’accomplissement
de nos dons et de nos désirs. Nous cherchons dans le dépassement de nous-mêmes
à réaliser ce qui nous motive le plus et nous pensons ainsi atteindre le
bonheur. Mais l’être humain est un puits sans fond. Il n’arrive jamais au terme
de ses désirs et en demande toujours plus. Pourtant la plupart d'entre-nous considèrent que l’expression d’une sagesse raisonnable
consiste, faute d’avoir vraiment trouvé le bonheur, à se contenter de ce qu'on a et de s'en
accommoder comme un succédané du bonheur. Il semble cependant que soit révolue
l'époque où jadis les philosophes
invitaient chacun à trouver son bonheur
dans la satisfaction de l’instant qui passe et où les théologiens l’invitaient à accepter son
sort comme un don de Dieu.
Face à ceux qui malgré tout
restent satisfaits d’eux-mêmes, se dresse l’immense groupe des insatisfaits et
des malchanceux. Blessés par la vie avant de l’avoir commencée, ou nés sous une
mauvaise étoile, ils sont frustrés et ne trouvent leur satisfaction qu'en
exprimant leur révolte. Le mot d’ordre de ces dernières années n’est-il pas de
s’indigner ? La société où nous vivons attise ces sentiments de
frustration en accusant les autres d'être responsables de
notre mal-être.
C'est sur ce point que Jésus nous provoque, il
nous invite non seulement à découvrir qui sont ces autres que nous accusons,
mais à les aimer. Il ne s’agit cependant pas de subir leurs sarcasmes et d’accepter d’être humilié par eux,
mais de chercher à avoir vis à vis d'eux
une attitude telle qu'ils seront amenés à se transformer. C'est ainsi que l'on plaira à Dieu. Car selon lui, c'est dans notre bonne
relation avec l'autre, quel qu'il soit,
que réside le secret du bonheur et on ne peut être heureux sans plaire à Dieu.
Mais comment arriver à ce renversement d'attitude quand c'est l'indifférence, voire même
l'hostilité qui préside à nos relations avec les autres?
On ne peut aimer sur commande. On
ne peut pas aimer ceux pour qui nous n’avons aucune attirance et l’injonction
de Jésus qui nous pousse vers tous les autres nous paraît suspecte et
irréaliste. Quoi qu’il en soit nous savons
bien que notre désir de réussite personnelle ne nous apportera que des
satisfactions fugitives et égoïstes, si elles ne sont pas accompagnées par une grosse part d’altruisme et d’intérêt pour
les autres.
Jésus en a fait un impératif. Il
considère que nous ne pouvons pas faire autrement. En fait, l’Écriture depuis les textes les plus anciens
jusqu’aux plus récents, nous introduit
dans cette perspective qui est la règle de conduite de Dieu. Même, si la
violence semble être une constante dans
la Bible, et c’est ce qu’on lui reproche, elle nous présente cependant
un Dieu soucieux de l’avenir de l’homme. Il sauve Noé du déluge, il libère le
peuple hébreu esclave en Égypte. Il nous est suggéré que la motivation profonde de Dieu résiderait
dans le fait qu’il aime l’homme d’une manière parfois incompréhensible
puisqu’il ira même jusqu’à sauver Caïn
coupable du meurtre de son frère
Si l’être humain est fait à
l’image de Dieu, comme il est dit, c’est qu’il y a en lui la même
capacité à aimer, même ce qui lui est hostile. Cela fait partie de ses structures profondes. Il
doit développer cette capacité pour accomplir son destin. Mais l’homme a une faiblesse, c’est le rapport qu’il entretient avec lui-même. Il s’ingénie à retourner toutes ses
capacités vers lui-même et à les mettre au service de son propre ego.
C’est ainsi qu’il exerce l’amour.
Nous nous aimons nous mêmes en priorité et en totalité avant de concevoir que
nous sommes fait pour aimer les autres. Jésus nous rappelle que nous sommes
conçus pour aimer notre prochain, à
égalité avec nous-mêmes. Pourtant, ce
n'est pas aussi évident. Quand nous croyons aimer les autres, c’est souvent à
nous que nous pensons en premier. "Je ne peux pas vivre sans toi dit
l’amoureux à sa bien aimée", en s’exprimant ainsi, c’est à lui qu’il
pense en priorité et non à elle. Aimer
ce n’est pas ne pas pouvoir se passer de
l’être aimé, c’est vouloir que l’être aimé soit heureux. C’est sur ce point qu’Eros
rejoint Agapè et qu’ Agapè supplante Eros. Ainsi l'homme en quête d'amour doit
commencer à lutter contre lui-même. Il doit d’abord en prendre conscience avant
d'aller plus loin.
Mais nous avons dit que l’amour
ne se commande pas et que nous ne pouvons pas aimer celui pour lequel nous
n’éprouvons pas de sentiments. A défaut
des sentiments, nous pouvons cependant réfléchir à notre
attitude. Cette attitude consiste
à faire ce que nous ferions si nous
éprouvions un sentiment d’amour pour celui pour lequel nous restons
indifférents. Nous pouvons aussi penser que puisque Dieu nous pousse à le
faire, il nous en donnera la force et fera également jaillir en nous un
sentiment que nous ne croyons pas pouvoir éprouver. Nous imaginons alors ce que serait notre
société si cette attitude se généralisait. C’est en envisageant une telle perspective que Jésus parle alors de joie. Une telle
attitude de la part des hommes comblerait Dieu de joie et le remplirait de
bonheur.
Il est gratifiant pour nous de
combler la joie de Dieu, mais à quoi cela nous sert-il ? Si nous rendons
Dieu heureux décidera-t-il alors de rendre le monde différent et acceptable
pour les hommes ? Le monde tirerait-il un avantage quelconque à participer
au bonheur de Dieu ? Autrement dit
si le genre humain se mettait à obéir à sa nature profonde et se mettait
à aimer ses semblables d’une autre manière que ce que nous faisons
habituellement, Dieu changerait-il d'attitude vis à vis du monde
et créerait-il une société paradisiaque?
Non. Les hommes n’ont aucun
pouvoir sur Dieu, et encore moins celui de le changer. Mais la bonne réponse
n'est pas vraiment là. .
La bonne réponse réside dans le constat que le seul fait de rendre Dieu heureux
suffit à lui seul à changer les hommes
en provoquant un immense bonheur
dans leur cœur. Plus nous nous ouvrirons
à notre prochain, plus Dieu sera heureux et plus heureux serons-nous à notre
tour. Si cela se produisait, cela entraînerait le bouleversement général que Jésus est venu annoncer. En
agissant ainsi nous apporterions la conclusion logique à l’œuvre de Jésus qui ne serait pas mort en vain, puisque
l’amour dont il a revêtu son sacrifice
aurait réussi à modifier nos comportements.
Jusqu’ici le succès de cette
entreprise n’a pas été évident. Son
échec apparent tiendrait
au fait que les plus croyants et
les plus généreux parmi nous voudraient imposer ce comportement d’amour
aux autres comme s’ils étaient différents d’eux ou même supérieurs à eux, alors que cet amour ne peut se réaliser
que dans la liberté de chacun. L’Église n'a pas à convaincre les hommes de la nécessité d'aimer, c'est un point
acquis, mais elle doit être un lieu de liberté où l'amour trouvera ses droits.
Et ce n'est toujours pas le cas.
Il est cependant réconfortant de réaliser que
nous sommes conçus avec une capacité à aimer et que nous avons possibilité de
le faire pour la plus grande joie de Dieu qui devient communicative au point de
nous rendre heureux à notre tour.
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