dimanche 7 octobre 2012

Marc 10:46-52


Marc 10/46-52  L’aveugle Bartimée: dimanche  28 octobre 2012

46 Ils viennent à Jéricho. Et comme il sortait de Jéricho, avec ses disciples et une foule importante, un mendiant aveugle, Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin. 47 Il entendit que c'était Jésus le Nazaréen et se mit à crier : Fils de David, Jésus, aie compassion de moi ! 48 Beaucoup le rabrouaient pour le faire taire ; mais il criait d'autant plus : Fils de David, aie compassion de moi ! 49 Jésus s'arrêta et dit : Appelez-le. Ils appelèrent l'aveugle en lui disant : Courage ! Lève-toi, il t'appelle ! 50 Il jeta son vêtement, se leva d'un bond et vint vers Jésus. 51 Jésus lui demanda : Que veux-tu que je fasse pour toi ? — Rabbouni, lui dit l'aveugle, que je retrouve la vue ! 52 Jésus lui dit : Va, ta foi t'a sauvé. Aussitôt il retrouva la vue et se mit à le suivre sur le chemin.

Quelle est donc cette puissance qui anime Jésus ? Il est bien évidemment habité par quelque chose  qui lui vient de Dieu mais qui ne fait pourtant pas  de lui un être extraordinaire. Pour le moment il s’est seulement manifesté comme un rabbi plein de sagesse ou comme un guérisseur compétent.   Mais les  foules croient discerner en lui un «plus» que n’ont pas les autres. C’est pour exprimer cela que les Évangiles saluent Jésus du titre de Fils de David. C’est un titre qui traverse les temps et les âges et qui désigne dans la tradition juive celui qui doit venir pour parachever la révélation divine, à l’égal de celui de Messie.

C’est dire qu’en utilisant ce terme, l' Évangéliste Marc nous place délibérément dans un temps d’attente qui ouvre l’avenir sur  l’espérance.  Le Dieu auquel Jésus rend témoignage n’est pas seulement le Dieu de la tradition, celui qu’ont vénéré les Pères dans la foi, il est aussi celui qui vient, il habite le devenir des hommes et s’emploie à construire leur quotidien avec eux.

Quand Jésus s’entend appelé par ce titre, il s’arrête, alors que rien ne semble avoir interrompu sa traversée de la ville jusqu’alors. A ce moment, celui qui l’a interpellé, rejette son manteau et bondit sur ses pieds. C’est à partir de ces quelques éléments que nous allons essayer de définir quelle est la dynamique qui habite Jésus et qu’il nous transmet.

Ce petit texte pourrait ne pas retenir l’attention du lecteur trop pressé, tant il est court et qu’il ne contient apparemment aucun élément remarquable. Mais ce serait une erreur que d’aller trop vite en besogne, car ce récit  contient tout un enseignement précieux  sur les mystères qui concernent la personnalité de Jésus. Vous avez sans doute remarqué que  ce passage nous présente un récit tout en mouvement, c’est pourquoi on est frappé quand Jésus s’arrête et pourtant,  rien ne se passe vraiment.

Il est dit que Jésus traverse Jéricho ! Il le fait comme s’il s’agissait d’une simple bourgade. Pourtant Jéricho n’est pas une ville ordinaire, elle mériterait que Jésus s’y arrêtât quelques instants.  On l’appelle la ville des palmiers,  et elle s’étend sur les bords du Jourdain comme une oasis verdoyante après la traversée du désert de Juda. Elle est célèbre, non pas seulement pour la douceur de son climat et la beauté de son site, mais elle est aussi la plus vieille ville du monde, chargée d’histoire et de tradition.

Tout voyageur qui la traverse éprouve le besoin de s’y arrêter pour s’y reposer et pour laisser son âme se  nourrir de paix et de tranquillité.  La Bible raconte que ses murailles dressées à la porte du désert s’opposèrent au passage de Josué et que celui-ci après en avoir   fait sept fois le tour  les  fit tomber au son des trompettes. Même si les archéologues contestent l’historicité de l’événement, la ville de Jéricho méritait sans doute que Jésus lui accorde plus d’attention.

Mais Jésus ne visite pas les lieux qu’il traverse en touriste. Il cherche à soutenir tous ceux  qui demandent  qu’on les aide à vivre. Il montre par son attitude que Dieu est à la recherche de  tous ceux qui ont besoin de lui. Il s’intéresse à tous ceux qui ont besoin d’un supplément de vie pour  exister et c’est auprès de ceux-là qu’il interrompt sa marche en avant.

Mais direz-vous : « N’y avait-il qu’un seul homme digne d’intérêt à Jéricho ? » Non bien sûr,  nous savons par l’Évangile de Luc que Jésus y  a aussi manifesté de l’intérêt pour Zachée, le percepteur, un homme petit de taille mais haut en couleurs, que Jésus a repéré accroché aux branches basses d’un sycomore. Il l’a même  cité en exemple. Il me semble qu’il devait  y avoir aussi des centaines de gens tels que l’aveugle Barthimée ou Zachée le percepteur, susceptibles d’interrompre la marche de Jésus  et de réclamer son intérêt. Mais  pour que nous en saisissions mieux la leçon, l’Évangéliste Marc s’est contenté  de l’histoire d’un seul personnage : Barthimée. Pourtant, il y a un autre personnage, qu’il faudrait mentionner, car lui aussi est digne d’intérêt, c’est le lecteur lui-même, mais  il faut qu’il se reconnaisse.

Quand Jésus s’arrête et s’intéresse à quelqu’un, il n’y a plus que celui-là qui compte. Chacun de nous, est un cas unique et ce qui se passe pour Barthimée se passe également pour nous, et pour chacun de ceux devant qui les pas de Jésus s’arrêtent pour faire pénétrer en lui le regard de Dieu. Si le cas de chacun est unique devant Dieu, alors le cas de Barthimée est suffisamment normatif pour retenir notre attention.

C’est d’une manière allégorique que nous allons aborder ce passage. Cette lecture est évidemment contestable, mais elle  m’est  apparue comme la plus  commode pour discerner le sens caché de ce récit. Je pense en outre, que Marc  qui le rapporte  a voulu qu’il en soit ainsi. Barthimée appelle en disant : «  Fils de David ». Son cri manifeste qu’il ne cherche pas seulement à attirer l’attention sur Jésus, comme le ferait n’importe quel mendiant pour recevoir quelque aumône. Cet appel porte en lui l’espérance qui  est déjà dans cet homme et   qui  le motive. L’expression « Fils de David » contient en elle une charge d’espérance. Cette  espérance est déjà en lui.  Il y a dans cette expression comme  une demande de vie qui n’est pas la simple survie que pourrait lui apporter une aumône. Il y a, sans qu’il le sache encore, comme l’expression d’un appel vers  Dieu de qui dépend son présent et son avenir.

Son espoir n’est pas de survivre, mais de vivre autrement. En demandant à Jésus de voir, il lui demande en fait la possibilité que sa vie devienne différente. Il ne prononce pas une déclaration de foi attendrissante en se réclamant de la foi de ses ancêtres et en louangeant Jésus de quelque manière, il dit simplement son besoin de vivre et  cela suffit.

Son besoin de vivre est accompagné de deux signes : Il rejette son manteau et il bondit pour se mettre debout. En rejetant son manteau, il signifie qu’il renonce à la protection précaire que lui réservait son état de mendiant. C’est ainsi qu’il vivotait en recevant les charités qu’il quémandait de ses concitoyens qui se devaient, par obligation religieuse, de soulager la dureté de la vie des mendiants. En se mettant debout il signifie  qu’il est prêt à assumer la vie nouvelle  que Jésus pourrait lui proposer.

Quand il se lève d’un bond il fait état du dynamisme qui est déjà en lui. Tout se passe comme s’il était déjà habité par Dieu, car sans qu’il s’en rende compte, l’espérance était déjà en lui, le dynamisme l’habitait déjà, autrement dit, Dieu avait déjà pris place en lui, mais il n’en était pas conscient. L’action de Jésus consiste simplement à faire apparaître la réalité des choses. « Ta foi t’a sauvé » lui dit-il simplement. La foi était déjà en lui et il ne le savait pas. Il a fallu que Jésus s’arrête devant lui pour qu’il prenne conscience de ce qui existait déjà sans qu’il en ait pris acte. Jésus a agi en lui comme un révélateur de Dieu. C’est ainsi aussi qu’il agit en nous.

Ayant déjà par son geste, renoncé à toute protection précaire, étant habité par un désir de vivre, la nouvelle vie qui jaillit en lui par le don de la vue devient toute naturelle. Il met alors ses pas dans ceux de Jésus et leurs vies se confondent dans une même marche en avant.

Je n’ai pas encore prononcé le mot de miracle, car apparemment il n’y a pas vraiment eu de miracle, même si le texte dit qu’il recouvre la vue. Le miracle, dans notre manière habituelle de voir les choses relève d’une manifestation spectaculaire. Ici, l’action de Jésus consiste à  dire à Barthimée la réalité de la foi qui est déjà en lui. Il comprend que Dieu habitait déjà tout son être et que la présence de Jésus  qui se tient devant  lui, lui a permis de découvrir que le dynamisme qui était déjà en lui, lui permettait de changer de vie, si bien que sa guérison devient simplement une prise de conscience de la présence de Dieu en lui.

Combien de nos contemporains ne traversent-ils pas la vie comme des touristes ? Ils cherchent ce qui est spectaculaire, ils admirent, en les jalousant parfois, les œuvres  des hommes mais  ils se contentent d’une vie sans histoire qui ne les mène pas loin.

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Il est alors temps qu’on leur dise  qu’ils peuvent aussi s’attacher à repérer en eux tout ce que Dieu y a déjà mis. En ne le faisant pas, Ils laissent s’affadir leurs désirs de vie, ils laissent leur foi s’assoupir, ils ne savent plus découvrir ce qu’il y a de dynamisant dans leur vie intérieure. Pour eux aussi, comme pour Bartimée le même miracle est possible. Comme lui ils peuvent appeler « Fils de David ait pitié ». Ce simple appel leur permettra de prendre conscience du fait que Dieu lui-même peut arrêter ses pas devant eux, et leur donner la vie qu’ils désirent parce qu’elle est déjà en eux.

Il leur faudra alors bondir en avant pour se mettre debout et accepter  de sauter dans la vie que Jésus leur propose et pour laquelle Dieu a déjà préparé le terrain.  

Illustrations Alexandra Domnec. Avec l'aimable autorisation de l'auteur.

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