Marc 12 :38-44. La pauvre veuve Dimanche 11 novembre 2012
35 Jésus enseignait
dans le temple : Comment les scribes peuvent-ils dire que le Christ est
fils de David ? 36 David lui-même, par l'Esprit saint, a dit :
Le Seigneur a dit à mon Seigneur :
Assieds-toi à ma droite,
jusqu'à ce que je mette tes ennemis sous tes pieds.
37 David lui-même
l'appelle Seigneur ; d'où peut-il donc être son fils ? Et la foule,
nombreuse, l'écoutait avec plaisir.
Contre les scribes
38 Il leur disait,
dans son enseignement : Gardez-vous des scribes ; ils aiment se
promener avec de longues robes, être salués sur les places publiques, 39 avoir
les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les
dîners ; 40 ils dévorent les maisons des veuves et, pour l'apparence, ils
font de longues prières. Ils recevront un jugement particulièrement sévère.
L'offrande de la veuve
41 S'étant assis en
face du Trésor, il regardait comment la foule y mettait de la monnaie de
bronze. Nombre de riches mettaient beaucoup. 42 Vint aussi une pauvre veuve qui
mit deux leptes valant un quadrant. 43 Alors il appela ses disciples et leur
dit : Amen, je vous le dis, cette pauvre veuve a mis plus que tous ceux
qui ont mis quelque chose dans le Trésor ; 44 car tous ont mis de leur
abondance, mais elle, elle a mis, de son manque, tout ce qu'elle possédait,
tout ce qu'elle avait pour vivre.
On se sent bien petit
et plein d’admiration devant un tel texte. On admire la foi de cette femme, mais on n’a nullement
envie de lui ressembler. C’est souvent ainsi dans l’Évangile. Les gens que l’on
nous donne à admirer, voire même à nous identifier à eux, sont bien souvent
des laissés pour compte, telle cette femme. On dirait que malgré les
difficultés de notre vie Jésus nous reproche les bons moments que nous avons et
les quelques avantages que notre société nous procure.
Pendant des générations, on a retenu pour faire son salut
qu’il fallait être pauvre comme saint François d’Assise et se réjouir de sa pauvreté et de sa médiocrité. C’est
ainsi que l’on a compris les choses pendant de nombreux siècles jusqu’à ce que la Réforme bouscule le bien-fondé de cette situation et
rappelle que le salut est gratuit et qu’on ne l’acquiert pas en se faisant
volontairement pauvre. Si Jésus montre cette femme en exemple, ce n’est pas
pour montrer que le dénuement mène à Dieu mais pour dire que la richesse peut faire obstacle à la
perception de la volonté de Dieu.
Pourtant ici en lisant ce texte nous ne pouvons qu’éprouver
un profond malaise. Cette petite scène
anodine va nous amener à nous poser des questions sur la personne de Jésus lui-même
et sur sa manière d’être présent au monde. Il y a en
effet, ici un certain nombre
d’incohérences dont il va bien falloir rendre compte pour essayer de comprendre
la portée de l’enseignement de Jésus.
Pour peu que notre esprit soit en éveil, et qu’il
soit assez critique, nous serons sans doute surpris, si non choqués en
constatant que Jésus félicite une femme
pour avoir fait un geste qui ne va servir à rien.
Il fait devant ses intimes l’éloge de cette pauvre femme qui se sacrifie en donnant tout
ce qui lui est nécessaire à la vie pour l’entretien du temple de Jérusalem dont il annonce par
ailleurs, la destruction dans les instants qui suivent. Cette constatation est assez choquante, pour nous arrêter et nous
forcer à chercher une explication logique, car pour l’instant Jésus approuve un sacrifice qui, selon son propre
jugement ne servira à rien.
En fait tout est ici fait pour nous mettre mal à l’aise, et
nous avons l’impression d’être pris au piège de notre propre foi. Jésus semble être blasé par le spectacle de
la collecte de l’argent. « Jésus regardait comment les foules mettaient
de l’argent, plusieurs riches mettaient beaucoup... » Jésus ne critique
pas, il ne louange pas non plus, il regarde simplement. Il ne porte aucun jugement de valeur sur ceux qui donnent
beaucoup. Il attire cependant l’attention de ses amis sur la veuve dont il est question ici. Le texte insiste sur l’insignifiance de la somme
qu’elle met dans le tronc: « 2 pièces faisant un quart de sou ».
Autant dire rien du tout, mais cette
faible sommes a une grande valeur pour elle car elle a donné de son nécessaire. Elle s’est servi de l’argent du ménage pour plaire
à Dieu, croit-elle car elle lui a donné
la valeur du morceau de pain qu’elle ne mangera pas.
Jésus ne fait aucun commentaire pour dire si Dieu y trouve
son compte et s’il se réjouit d’un geste qui ne sert à rien. Cependant un tel
geste représente pour elle tout son potentiel de vie. Ainsi elle entre avec Dieu dans une relation de vie. Il y a ici
bien plus qu’un simple geste, bien plus qu’une simple action de grâces, elle donne matériellement sa vie. Jésus ne commente
pas dans le sens où nous l’espérons. En
donnant cet exemple, l’évangéliste recommande que notre relation à Dieu soit de
l’ordre du vital. Notre relation à Dieu est aussi importante que la vie que
nous menons, que l’air que nous respirons ou que le pain que nous mangeons. Qui pourrait faire comme elle, dans une société où l’argent est devenu le maître à
penser, et où n’a de valeur aujourd’hui
que ce qui permet un profit immédiat.
Le geste de la femme est cité en exemple sans qu’aucun autre
commentaire ne soit fait, ni sur l’argent, ni sur les riches. La femme ne sait
même pas qu’elle a retenu l’attention de Jésus pendant quelques secondes. Jésus
n’a même pas eu une parole pour lui dire la faveur de Dieu à son égard, ni même
si Dieu se réjouit d’un tel sacrifice. L’Évangile insiste seulement sur la valeur du sacrifice volontaire qui
établit une relation de vie entre Dieu et la femme. C’est tout. On aurait envie
de faire les commentaires que Jésus ne fait pas.
Mais tout n’est pas si simple car le temple va être détruit.
L’étrange prophétie de Jésus annonçant la disparition du temple semble rendre
vain et inutile cet acte qui lie la femme à son Dieu. Le temple par lequel
passe sa relation à Dieu et pour lequel
elle sacrifie ainsi sa vie sera démoli! Il
ne restera plus pierre sur pierre.
Comment Jésus peut-il faire une telle prophétie, qui va se réaliser dans une
génération, après avoir insisté sur le geste de cette femme que cette prophétie rend
parfaitement inutile?
En fait il me semble que les choses ne sont pas
inscrites à l’avance dans l’histoire. Il n’y a pas de déterminisme dans
la pensée judéo-chrétienne. Jamais on ne pourra dire c’était écrit, sans quoi
l’intervention de Dieu dans l’histoire n’aurait pas de sens. Le jour de notre
mort, et l’événement par lequel nous quitterons cette terre n’est pas écrit à
l’avance, dans le livre de Dieu comme on le pense dans d’autres religions.
S’il en était ainsi
la révélation chrétienne n’aurait aucun
sens puisque les hommes seraient voués à un destin préétabli et dans un tel
contexte, le ministère de Jésus n’aurait aucun sens. L’histoire se vit donc au
jour le jour dans l’existence des hommes qui cherchent par leurs actions à
répondre à la mission et à la vocation que Dieu leur a données. C’est dans ce
contexte que s’inscrit le geste de la femme. Le geste de la femme va dans le
sens de la vie telle que Dieu la souhaite et telle que Jésus, l’annonce, même
si l’histoire montrera que le Temple ne jouera aucun rôle par la suite. Pour
l’instant et pour la relation de cette femme avec son Dieu il joue un rôle
considérable. En contribuant de tout son
être à l’édification du sanctuaire
terrestre où réside le nom de Dieu elle participe à la volonté créatrice
du Seigneur. C’est dans ce sens que Jésus valorise son action.
Ce geste n’empêche pas pour autant Jésus de considérer avec
lucidité la situation socio-politique de
son époque. Jésus sait, comme tout un chacun que si les tensions entre juifs et
romains persistent, la guerre finira par éclater et le sanctuaire sera détruit.
La prophétie de Jésus relève de la lucidité politique plutôt que de la
théologie. La théologie sur la destruction du temple sera élaborée après coup
par ses disciples et ses apôtres qui chercheront une logique là où il n’y en
avait pas forcément.
La destruction du
temple est de l’ordre du possible et même du probable, elle est liée au péché
et à la violence des hommes et pas forcément à la volonté de Dieu. Encore une
fois répétons que les hommes sont appelés chaque jour à construire l’histoire
avec leur Dieu en y mettant tout le bien
qu’il leur inspire.
Si Jésus savait que
Dieu avait décidé la destruction du Temple, il n’aurait pas tenu les propos
qu’il a tenus sur la veuve comme il l’a fait. Jésus ne s’est jamais très
clairement exprimé sur la destruction du temple, se sont ses ennemis qui au
moment du procès ont joué sur les mots. « Il a parlé de la destruction
du temple » disaient-ils et l’évangéliste Jean d’ajouter « qu’il
parlait du temple de son corps ». Les disciples en fait n’ont retenu que
des paroles ambiguës à propos du temple que Jésus a purifié avant sa mort
(dimanche des rameaux) et auquel il s’est identifié. Ni l’Évangile de
Matthieu ni l’Évangile de Jean n’ont
retenu la prophétie que seule Marc et Luc rapportent.
C’est pourquoi en prophétisant la destruction du temple
Jésus n’a pas fait état d’une décision préétablie de Dieu qui
conduirait l’histoire indépendamment des hommes, mais Jésus a fait état des
conséquences inévitables que le péché des hommes pouvait avoir sur la religion
et sur la société de son temps. L’histoire peut ainsi rendre vains des gestes
qui étaient pourtant porteurs d’avenir au moment où ils ont été faits.
C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter le geste de la
femme qui met toute sa vie au service de
la cause de son Dieu, mais ce geste n’empêchera pourtant pas les hommes de
commettre l’irréparable et d’entraîner dans leur folie la destruction du temple
comme ce fut jadis le cas à l’époque de Nabuchodonosor.
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