1Jésus se rendit au mont des Oliviers. 2 Mais dès le matin, il retourna au
temple, et tout le peuple vint à lui. S'étant assis, il les instruisait.
3 Alors les scribes et les pharisiens
amènent une femme surprise en adultère, la placent au milieu 4et lui
disent : Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère.
5 Moïse, dans la loi, nous a ordonné de lapider de telles femmes : toi,
donc, que dis-tu ? 6 Ils disaient cela pour le mettre à l'épreuve, afin de
pouvoir l'accuser. Mais Jésus se baissa et se mit à écrire avec le doigt sur la
terre. 7 Comme ils continuaient à l'interroger, il se redressa et leur
dit : Que celui de vous qui est sans péché lui jette le premier une
pierre ! 8 De nouveau il se baissa et se mit à écrire sur la terre. 9
Quand ils entendirent cela, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus
âgés. Et il resta seul avec la femme qui était là, au milieu. 10 Alors Jésus se
redressa et lui dit : Eh bien, femme, où sont-ils passés ? Personne
ne t'a donc condamnée ? 11Elle répondit : Personne, Seigneur. Jésus
dit : Moi non plus, je ne te condamne pas ; va, et désormais ne pèche
plus.]
Assis dans la poussière regardant ses doigts qui
tracent des signes dans le sable, Jésus écrit.
Nul ne sait ce qu’il écrit. Une femme
a été traînée devant lui par ses accusateurs qui la prétendent adultère et complotent sa mort. Fixant ses
mains qui tracent des lettres, il détourne son regard de celui des scribes et
des pharisiens qui en accusant la femme se drapent pieusement dans les articles
d’une loi qu’ils ont rendue mensongère. Dieu lui-même est ici bafoué par
l’hypocrisie de ceux qui se réclament de lui comme le Dieu de leurs pères.
Jésus quant à lui, n’est-il pas en train d’écrire une page de l’Evangile ? Nous essayerons
de répondre à la question, mais le défit est quasiment impossible.
Jésus est
accroupi sur le sol, au même niveau que cette femme jetée devant lui. C’est un
piège tendu contre lui pour l’accuser
lui aussi à son tour. Il écrit de son doigt sur le sol et fixe d’un regard
impénétrable les signes qu’il est en train de tracer. Tous deux, l’un face à
l’autre font figure d’accusés. La première pour avoir soi-disant transgressé la
loi à cause d’un adultère supposé, lui à cause des paroles qu’il n’a pas encore
prononcées mais qui ne manqueront pas de
se retourner contre lui quand il les prononcera. C’est pourquoi il se
tait.
La femme
est au milieu, est-il dit ? Elle est au milieu de cet espace qui la sépare
de ses accusateurs qui se sont
constitués en tribunal improvisé et de Jésus qui ne dit toujours rien. Quel
rôle va-t-il jouer, celui du juge ou de l’avocat ? Les accusateurs qui
aimeraient le prendre en défaut lui
confient pourtant le rôle de juge
suprême puisqu’ils lui proposent d’avoir un avis différent de celui de Moïse
dont seule la loi fait autorité. Le piège s’est ainsi refermé car il est
impensable de dire autrement que Moïse.
Mais la
loi de Moïse, parlons-en. Ici tout est biaisé. La Loi ne dit pas exactement ce
qu’ils lui font dire. La Loi dit que l’homme et la femme pris en état
d’adultère doivent être tués tous les deux. Mais l’homme où est-il ? S’il
n’y a pas d’homme, il n’y a pas de flagrant délit. Il n’y a pas de plaignant
non plus. Ce devrait être le rôle du mari. Il n’y a pas de mari. Ce faux procès
n’a dont pas de raison d’être. Pas de délit caractérisé, pas d’accusateur. Jésus
a donc assez d’éléments ici pour jouer le rôle de l’avocat qu’il ne joue pas.
Il ne tombe pas dans le piège qui consisterait à entrer dans un débat
rabbinique. Il tournerait sans nul doute
à son avantage, il noierait le poisson et sauverait la femme, sans la
réhabiliter car elle serait acquittée par défaut. Jésus vise ailleurs, il
vise un enjeu théologique qui concerne
le péché. Le péché en général et non pas le péché dont il est question ici.
Dans ce cas-là, nous sommes tous concernés. Jésus continue à écrire sur le sol.
Jadis,
Dieu lui-même n’avait-il pas écrit sur
les Tables de la Loi avec
son doigt ? Jésus ne faisait-il pas
de-même ? N’était-il pas en train d’écrire une nouvelle loi ou une
interprétation de cette Loi ? Les Tables de la Loi avaient été brisées par
Moïse qui les avait jetées à terre cause
du péché de son peuple. Jésus écrivant à
terre ne reprend-il pas la Loi à l’endroit-même où elle avait été détruite ? Le texte écrit, par Jésus aura pourtant le
même sort. Il sera effacé d’un coup de vent et les pas des hommes qui le
fouleront le rendront illisible. Jadis,
une deuxième édition des tables avait été réalisée et enfermée dans l’arche
sainte, mais elle n’avait pas la perfection de la première. Elle était appelée
à une nouvelle écriture quand les hommes seraient capables de la comprendre. Ce
temps était-il arrivé ? Quant au texte écrit par Jésus, sur lequel il s’est
penché par deux fois, nul ne pourra jamais le lire à terre, mais ne se trouvera-t-il pas gravé dans notre cœur au lendemain de la
résurrection ?
La femme
est donc placée au milieu du cercle par ses accusateurs face à Jésus. Elle
n’est même plus une femme, elle est l’incarnation du péché qu’elle est sensée
avoir commis, elle est le péché. Elle a perdu tout ce qu’elle avait d’humain,
elle reste l’enjeu d’un débat subtil dans lequel Jésus n’est pas encore
intervenu. Elle ne risque même pas la mort car à l’époque on appliquait plus la
Loi dans toute sa rigueur. Elle risque le déshonneur et l’infamie.
Si Jésus
ne lui parle pas, s’il ne plaide pas en sa faveur, c’est qu’il ne veut pas
entrer dans un jeu pervers et morbide
qui consisterait à vouloir la défendre, comme si malgré tout elle était
coupable. Il lui fait la grâce de ne pas intervenir pour ne pas l’enfermer dans
un péché qu’elle n’a peut-être pas commis. Il ne veut en rien entrer dans cette
controverse que soutiennent les pharisiens selon laquelle la Loi divine envoyait les coupables à la mort,
comme si Dieu lui-même voulait leur
mort.
Puisqu’il
est fait ici état du péché, que ce soit
le péché d’adultère dont cette femme est accusée, ou toute autre forme de
péché, c’est sur ce terrain-là que Jésus ramène le propos. Jésus alors se
redresse et sans doute les regarde bien en face car tous sont concernés. Puisque selon leur interprétation de la Loi,
le péché mène à la mort et qu’il n’y a aucune place pour le pardon et la vie,
il faut donc que la mort soit donnée par une main sans péché.
Si tous
ont péché, ils portent en eux leur propre mort. Il faut donc que celui qui n’a
pas de mort en lui décide de la mort des autres. Ces deux choses sont
incompatibles car il est impossible d’être impliqué dans la vie et de porter en même temps la mort. Tel est
Dieu. Il est vie, il est pourvoyeur de vie, il n’y a pas de trace de mort en
lui, comment pourrai-il la donner ?
Tel est
l’enseignement de Jésus sur Dieu. Pour lui, la Loi de Dieu ne peut pas conduire
à la mort. Si elle révèle les fautes et toutes les formes que peut prendre
le péché, elle porte aussi en elle les possibilités de repentance
et de pardon qui mènent à la vie. C’est ce que nous révèlera l’apôtre Paul
quand il montrera que Jésus, par son enseignement et son action dépasse
toujours la mort pour offrir à tous une possibilité de vie.
Tous, se
sentant accusés par eux-mêmes, car tous
étaient porteurs de péchés, s’en vont
l’un après l’autre en commençant par les plus vieux. Cet événement est rapporté
de telle sorte que le lecteur qui a un peu de culture biblique, et c’est le cas
des scribes et des pharisiens, se souvient du récit de Suzanne et des
vieillards, dans l’apocryphe du prophète
Daniel.
L’histoire
est sensée se passer pendant ou après l’exil à Babylone. Suzanne épouse d’un
riche dignitaire de la communauté juive
fut surprise par 2 vieillards lubriques, qui étaient juges pour
la communauté juive. Ils tentèrent en
vain de la séduire. Outragés par son refus ils la trainèrent devant le tribunal
l’accusant d’avoir commis un adultère avec un beau jeune homme qui se serait
sauvé à leur approche. Au moment où le tribunal allait la condamner à mort,
Daniel intervint. Il demanda que l’on interroge séparément les deux vieillards
sur l’emplacement exact du lieu du
délit. Naturellement ils se contredirent, Suzanne fut sauvée et les deux
vieillards exécutés.
Sans doute
les accusateurs de la femme instruits par cette histoire se retirèrent pour ne
pas tomber dans le piège que Jésus avait retourné contre eux. Jésus alors
s’adressa à la femme en l’appelant « femme », comme il l’avait fait
pour sa propre mère dans l’événement de Cana. La femme ainsi réhabilitée par
Jésus est promise à une nouvelle forme de vie où le péché n’entraînera plus la
mort et où Dieu sera porteur de vie
pour tous les coupables qui se tourneront vers lui.
Quand
Jésus lui dit de ne plus pécher, ce n’est pas de l’adultère dont il parle, car
le procès n’ayant pas eu lieu on ne sait pas si l’accusation pouvait tenir
encore, il la met en garde contre toute forme de péché. Il conduit à la mort
quand il est géré par les hommes, mais il s’ouvre toujours à la vie quand on le
confie à Dieu. Tout regard que l’on porte vers Dieu porte en lui un signe de
repentance qui s’accompagne toujours d’une forme de pardon, si bien que
tout péché, quel qu’il soit,
appelle le pardon de Dieu qui est l’expression de son amour pour tous
les hommes et les conduit vers la vie.
Une dernière question reste cependant
sans réponse. Il s’agit de savoir ce que Jésus avait écrit. L’affaire est
classée, les gens sont passés et ont
effacé les mots écrits, mais on peut dire à coup sûr que ces mots sont maintenant écrits dans notre cœur comme une
nouvelle Loi issue de l’amour de Dieu.
Ce texte écrit par Jésus
devait porter l’empreinte du mot « vie »,
car le Dieu qui sauve dans la Bible n’est-il est pas appelé « le vivant »,
celui qui donne la vie ?
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