Luc 19 : 28-44 les Rameaux - dimanche 24 mars 2013
28 Après avoir ainsi parlé, il partit en avant et monta
vers Jérusalem.
29 Lorsqu'il approcha de Bethphagé et de Béthanie, près
du mont dit des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, 30 en disant :
Allez au village qui est en face ; quand vous y serez entrés, vous
trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s'est jamais assis ;
détachez-le et amenez-le. 31 Si quelqu'un vous demande : « Pourquoi le
détachez-vous ? », vous lui direz : « Le Seigneur en a
besoin. »
32 Ceux qui avaient été envoyés s'en allèrent et
trouvèrent les choses comme il leur avait dit. 33 Comme ils détachaient l'ânon,
ses maîtres leur dirent : Pourquoi détachez-vous l'ânon ? 34 Ils
répondirent : Le Seigneur en a besoin. 35 Et ils l'amenèrent à Jésus ;
puis ils jetèrent leurs vêtements sur l'ânon et firent monter Jésus. 36 A mesure
qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin.
37 Il approchait déjà de la descente du mont des
Oliviers lorsque toute la multitude des disciples, tout joyeux, se mirent à
louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus. 38 Ils
disaient :
Béni soit celui qui vient,
le roi, au nom du Seigneur !
Paix dans le ciel
et gloire dans les lieux très hauts !
39 Quelques pharisiens, du milieu de la foule, lui
dirent : Maître, rabroue tes disciples ! 40 Il répondit : Je vous
le dis, si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront !
Jésus pleure sur Jérusalem
41 Quand, approchant, il vit la ville, il pleura sur
elle 42 en disant : Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver
la paix ! Mais maintenant cela t'est caché. 43 Car des jours viendront sur
toi où tes ennemis t'entoureront de palissades, t'encercleront et te presseront
de toutes parts ; 44ils t'écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi,
et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n'as pas
reconnu le temps de l'intervention divine.
Notre
réflexion quotidienne sur l’état de la planète passe par des élans
d’enthousiasme et des moments de doute au sujet de l’action de Dieu dans le
monde des humains. C’est cette atmosphère aujourd’hui que nous restitue l’Évangile
de Luc en abordant le récit des Rameaux. Nous y croisons des gens pleins
d’enthousiasme qui se dépouillent de
leurs vêtements qu’ils jettent sur un ânon et qui nous invitent à participer à leur jubilation. Dans le même temps nous croisons
les regards de Jésus dont les pleurs coulent sur les joues alors qu’il envisage
un avenir sombre pour Jérusalem. Le Seigneur pleure sur la ville en voie de
perdition dont il annonce la fin
catastrophique alors que les gens qui l’entourent manifestent leur bonheur
d’entrer dans une ère de paix. L’Évangéliste nous fait passer sans transition de
l’enthousiasme au désespoir, et du
désespoir à la résilience.
La
plume de Luc en multipliant les contrastes campe assez bien ce qui se vit dans
la pensée de nos contemporains qui
cherchent les signes de la présence de Dieu dans les discordances de notre temps.
Jésus vient vers eux en promoteur d’une
ère de paix comme le nouveau roi tant attendu, mais il annonce en même temps que la ville sainte où il fait
son entrée est promise à la destruction et ne se relèvera pas de ses plaies. La
promesse de paix annoncée ne se réalisera que si les hommes, à l’inverse des
gens de Jérusalem accueillent correctement leur Dieu qui les visite.
Car
Dieu, à n’en pas douter visite les hommes, et ceux-ci ne savent pas vraiment accueillir leur divin visiteur.
Leur intérêt les pousse dans une autre direction. Ils accordent leur attention
à ceux qui savent les séduire. Ce sont le plus souvent, les hommes de pouvoir
qui les attirent et les fascinent. On les croit dépositaires de capacités,
d’intuition, de sciences et de compétences qui sont seules porteuses de vérités
pour l’avenir du monde. Les habitants de Jérusalem ont toujours cru qu’ils
bénéficiaient des faveurs de Dieu. L’auteur
de l’Évangile se remémore-t-il, au moment où il écrit, l’histoire toute proche
de la chute de Jérusalem? Il y fait peut être allusion dans son récit ou rapporte-t-il une intuition prophétique de
Jésus concernant la ville ? Nous n’entrerons
pas ici dans le débat.
Quand
les armées romaines défièrent les forces juives qui s’opposaient à elles,
elles eurent affaire à une résistance
farouche. Les juifs se croyaient protégés par leur bon droit et les faveurs de
Dieu. Leurs premières victoires les confortèrent dans cette impression.
L’histoire a démontré le contraire et c’est la pire des catastrophes qui s’en
suivit. Ce fut l’anéantissement total. Nul n’avait compris 37 ans plus tôt de quelle
manière il fallait accueillir Dieu pour
avoir la force de faire face.
Mais
la force que donne le Seigneur ne s’appuie pas sur la force des armes, ni sur
la sagesse humaine, ni sur le bon droit, ni sur la légitimité dont Dieu serait
le garant. Quand Dieu nous visite, ce n’est pas en tant que chef tout puissant
des armées célestes. La vérité sur Dieu relève d’une autre dimension.
C’est
l’attitude de Jésus lors de son entrée à Jérusalem qui nous éclaire. Il
s’avance sans arme, un petit âne dérisoire
pour monture, sous les acclamations de quelques amis dont les louanges s’adressent
à un roi dont le pouvoir est céleste et non pas temporel. Il se livre à un
simulacre de conquête de la ville sainte
que nous jugeons, il faut bien le dire, comme dérisoires et sans avenir.
La
présence de L’ânon contribue à rendre la situation irréaliste. Les autres
évangiles ont senti la difficulté de
rendre les choses vraisemblables à partir d’une telle monture. Ils se sont appuyés sur les prophéties Habacuc qui fait allusion à une ânesse et son
ânon pour raconter un tel événement. Ils juchent alors Jésus sur l’ânesse. Les choses apparaissent
ainsi plus raisonnables, mais à la différence des autres évangiles Luc veut
insister sur le dérisoire de la situation.
Mais
il n’y a pas que l’ânon qui soit dérisoire, à y réfléchir un peu, l’Évangile
aussi n’est pas très crédible pour les masses auxquelles
il s’adressait. Quand Jésus nous demande
de partager notre nécessaire avec celui qui n’a plus rien est-ce
vraisemblable ? Quand il nous propose d’aimer nos ennemis, et de prier pour ceux qui nous persécutent, cela
rallie-t-il vraiment notre adhésion ?
Quand il propose l’ânon comme monture il reste dans l’irrationnel.
Mais
c’est de cet ânon-là, que Jésus a besoin, c’est
avec cette monture inutilisable
qu’il prétend affirmer son autorité. Jésus montre ainsi de quelle nature sont
ceux dont il a besoin pour affirmer son règne de paix. Il a besoin de ceux qui
apparemment n’ont pas d’autorité ni de compétence pour le faire. Il ne réclame
pas pour autant des débiles et des demeurés, des gens son intelligence,
incapables de se frayer un chemin dans le monde. Il a seulement besoin de ceux
qui croient à la vérité de ses promesses et à sa volonté de changer le monde en
profondeur. Il cherche des gens capables
de lui faire confiance et qui espèrent en autre chose que dans la force et
l’esprit de domination pour faire triompher le bon droit. L’autorité dont Dieu
a besoin quand il nous visite est donc ailleurs que là où les hommes l’espèrent
.
Mieux,
Luc, le narrateur va en rajouter une couche. Il insiste sur le fait que les
gens qui accompagnent Jésus se dépouillent eux-mêmes de leurs vêtements pour
que Jésus s’asseye dessus ou pour que le petit âne les piétine. Il signifie
ainsi que ceux qui veulent participer à la royauté de Jésus doivent eux-aussi
se dépouiller de tout ce qui leur appartient et qu’ils ne doivent faire
confiance qu’à la foi que Jésus a déposée en eux. Si Luc ne mentionne pas les
palmes que les gens agitent dans
les autres évangiles, c’est que
les palmes servent à honorer celui pour qui on les agite, Jésus ne réclame pas cet honneur, il ne demande que le don de soi.
Voilà
un royaume bien difficile à construire, et il semblerait bien que Jésus nous
invite à le suivre dans une perspective d’échec. Il en est conscient, la
morosité s’empare de son propos car la route qui mène à la paix semble encore
barrée par l’incompréhension des hommes. Elle passe certainement par la mort du
Seigneur sur la croix. Personne n’en doute, mais elle passe aussi par
l’anéantissement de toute velléité à vouloir construire le Royaume de Dieu avec
des valeurs humaines. Il récuse la
prétention des hommes à vouloir faire
avancer les choses par leurs propres forces et leur propre génie.
Faut-il
alors renoncer à une telle entreprise ? Loin de là, mais elle ne peut aboutir
que si elle s’appuie sur le petit nombre
de gens assez utopiques pour croire que Dieu n’ a pas besoin
de leurs compétences humaines pour construire ce Royaume que Jésus propose.
Cependant Dieu n’envisage pas de faire aboutir son projet tout seul. Il a
besoin de tous ceux qui se mettent en
capacité de recevoir le souffle de l’esprit et qui offrent leurs disponibilités
et la modestie de leurs moyens pour
entraîner le monde à leur suite dans une ère nouvelle.
Dieu
a l’audace de croire que ce petit nombre est suffisant pour que les choses
changent. L’Église qui reçoit ce message dans la confiance est appelée à
quitter ses ambitions de régenter le monde
en lui imposant sa théologie et sa morale. Elle s’ouvrira alors à la sérénité
que lui offre sa confiance retrouvée dans une marche joyeuse vers un monde
nouveau. Dans la quête de Dieu que mènent beaucoup d’hommes aujourd’hui, c’est
dans cette voie qu’ils trouveront sans doute le chemin du salut.
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