Le commandement
nouveau
Jean 13:31-35 dimanche - 24 avril 2016
31 Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit : Maintenant le Fils
de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui. 32 Si Dieu a été
glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera en lui, il le glorifiera aussitôt. 33
Mes enfants, je suis avec vous encore un peu. Vous me chercherez ; et
comme j'ai dit aux Juifs : « Là où, moi, je vais, vous, vous ne
pouvez pas venir », à vous aussi je le dis maintenant.
34 Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous
aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi, vous
vous aimiez les uns les autres. 35 Si vous avez de l'amour les uns pour les
autres, tous sauront que vous êtes mes disciples.
Quand
la foi des disciples se met à basculer à l’annonce d’un événement auquel ils
n’étaient pas préparés, quand la suspicion s’empare de leur esprit et que la
colère monte en eux, quand Jésus lui-même se trouble et ne contrôle pas les
émotions de ses amis, quand enfin Judas sort pour faire son œuvre et trahir son
maître, le seul message que Jésus leur transmet c’est qu’ils doivent
donner priorité à l’amour. Après le départ de Judas, tout se passe comme s’il n’avait
pas existé, sans qu’on remarque à peine
son départ.
Ce
n’était pas la joie qui présidait à ce dernier repas que Jésus avait
voulu partager avec les siens. C’était un repas d’adieu et personne ne
s’en doutait, si non Judas dont l’action
nous sidère encore et provoque en nous une profonde incompréhension. Pourtant, Jésus n’avait rien improvisé. On
nous raconte que tout avait été
prévu à l’avance. Le repas avait été préparé selon les prescriptions de
Jésus, et même le rôle terrible que va jouer Judas avait été peut-être
été prévu par le maître.
L’Évangile de Jean est le plus radical des quatre évangiles. Pour expliquer le geste de
Judas il a retenu la thèse de la cupidité. Mais la comparaison avec les
autres évangiles fait vaciller nos convictions et les arguments ont du mal à
s’imposer. Nous avons retenu qu’il aurait trahi pour de l’argent, mais la somme
était bien faible, 30 deniers nous dit Matthieu. Pourtant, l’actualité récente
nous a appris que l’argent pouvait être à l’origine de beaucoup de
trahisons, encore faut-il que l’enjeu en vaille la peine. Examinons la
situation d’un peu près.
Il
était possible que Judas soit arrivé à la conclusion selon laquelle le
ministère de Jésus était voué à l’échec et qu’il n’allait
pas s’en sortir sans y laisser sa vie. Autant en profiter aurait-il pu penser et profiter de la situation. Cette
interprétation est cependant difficile à soutenir si on considère que
personne ne l’a empêché de sortir à l’annonce de sa trahison, d’autant plus que
nous savons par l’Évangile de Luc qu’il y avait deux épées en leur possession
(Luc 28 :38) et qu’un des apôtres s’en serait servi, par la suie,
lors de l’arrestation (Matthieu 26 :52) .
On
a aussi vu dans Judas un idéaliste, qui ne voyant pas venir le Royaume
annoncé aurait voulu provoquer un événement céleste et forcer Jésus à se
révéler comme Fils de Dieu. En le livrant aux forces de l’ordre il
aurait espéré que l’archange Michel serait venu avec ses légions pour le
défendre. Judas se serait trompé sur toute la ligne et se serait suicidé de
désespoir. Là encore l’argument tient mal, car le récit évangélique laisse
entendre que Jésus était au courant du projet, et ne l’approuvant pas, il
n’aurait pas laissé faire. Au contraire,
Il se serait lui-même identifié, par avance à l’agneau que l’on sacrifiait à
l’occasion de la Pâques et aurait choisi de mourir au moment où au temple on
immolait les agneaux. La théologie chrétienne retiendra cette interprétation,
mais est-il possible d’en trouver l’origine dans Jésus lui-même ?
Une
troisième hypothèse, plus invraisemblable et plus choquante que les autres,
mais envisageable tout de même peut être avancée. Elle est conforme au
récit des Évangiles. Elle laisse entendre que ce serait Jésus lui-même
qui aurait organisé sa propre arrestation avec la complicité du plus courageux
de ses disciples. En effet, nous avons vu que Jésus avait tout prévu et tout
calculé pour cette soirée. Il aurait compris que son ministère, pour
témoigner de la vérité qu’il prêchait depuis trois ans ne
pouvait s’achever que par sa mort. Il aurait alors prévu de mourir
dans le cadre de la fête juive, de la Pâque, au moment où on immolait les
agneaux au Temple. C’est ce qui se produisit. Mais pour que cela puisse se faire, il fallait
que son programme soit bien réglé et que l’arrestation ait lieu au bon
moment ainsi que le procès qui s’en
suivit, afin que sa mort coïncide avec celle des agneaux. C’est difficile
à envisager.
La théologie chrétienne retiendra cette
interprétation des événements, mais est-il possible d’en trouver l’origine dans
les propos de Jésus ? Pour qu’un tel projet réussisse, il fallait que
Jésus se soit assuré des services d’un complice solide qui ne broncherait pas au dernier
moment. Jésus connaissait chacun de ses amis et il savait que seul sans doute,
Judas avait la capacité d’assumer ce défi. C’est ce projet que Jésus aurait
révélé ce soir-là aux siens atterrés.
N’oublions pas que ces événements ont été reconstitués
après coup par les évangélistes qui ont murement réfléchi à la cohérence
théologique de ce qu’ils rapportaient. En prolongement de cette remarque, ne
pourrait-on pas penser que le portrait de Judas lui-même serait une création
des auteurs évangéliques qui auraient emprunté une partie de son personnage
à Juda, fils de Jacob, frère de Joseph
qui a eu l’idée de vendre son frère aux Égyptiens pour duper son père. Ainsi
pourrait se comprendre la disparition de Judas du récit sans que personne
n’intervienne pour le retenir.(Genèse 37:26-28)
Judas
serait sorti du récit emportant avec lui
le doute des uns, le soupçon des autres et l’incompréhension de tous, c’est
alors que le maître livra à ses disciples son testament spirituel sans
nullement faire allusion à l’événement qui était sensé s’être produit l’instant auparavant.
On aurait pu s’attendre à ce qu’il
élabore une théorie sur le salut. C’est ce que l’Église a fait après lui
à propos de cet événement. Il n’en fut rien. Il leur parle d’amour. On
aurait pu s’y attendre car l’amour était au centre de son enseignement. Mais
en cas de crise, alors que tout s’effondre autour de ses amis et qu’un de ses collaborateurs l’aurait trahi ignoblement
, ce mot avait de quoi les surprendre, était-il encore valable ? Il
parlait de l’amour des uns pour les autres. Au moment où l’idée de mort entrait
dans leur âme, où la notion d’échec et de trahison commençait à
faire son chemin dans leur esprit et que la peur les saisissait, c’est d’amour
que Jésus les entretenait.
Alors
que les théologiens, quelques années plus tard en commentant ce même
événement diront des choses hautement spirituelles sur l’attitude
admirable de Jésus, celui-ci, résuma ce soir-là, tout ce qu’ils devaient
retenir en un seul mot celui d’amour. Par la suite les commentateurs de
l’événement parleront de sacrifice pascal et d’agneau immolé pour le péché du
monde, on oubliera que Jésus avait laissé entendre que l’amour, que les
hommes partageront entre eux sera l’élément essentiel pour manifester la
gloire de Dieu. Si la gloire de Dieu, réside dans le fait que Dieu
met tout en œuvre pour le salut des hommes, Jésus précise que c’est
l’amour qui sera plus efficace que tous les discours pour la mettre en valeur.
Contrairement
à ce que les autres évangélistes ont écrit et à ce que nous avons retenu de
l’événement, nous réalisons que l’épisode concernant Judas est un épiphénomène
qu’on pourrait ne pas retenir car il n’intervient nullement dans le dernier
message de Jésus.
Heureusement
la résurrection permettra de mettre à nouveau les choses au point. Quelques
jours plus tard, nous rapporte ce même évangile, Pierre fut pris à part par le
ressuscité pour entendre à nouveau Jésus parler d’amour : « Pierre
m’aimes-tu ? » Jésus revenu de la mort confirme la priorité de
l’amour sur toute autre attitude. Avec Jésus, c’est cette notion de l’amour qui
a survécu à la mort. Ce sentiment ne peut donc être la norme de notre vie désormais,
que si l’Esprit qui a arraché Jésus à la mort ne prend le dessus sur
notre âme et mobilise nos actes et nos pensées. Nous retiendrons alors que
l’intérêt du prochain doit toujours être premier dans toutes les
situations que nous sommes appelés à vivre.
Bien
évidemment nous serons en butte aux railleries des hommes quand nous essayerons
de donner priorité à ce sentiment, alors que les hommes en suggèrent
d’autres. Ils l’associeront à de la lâcheté et au refus d’agir, mais
c’est parce que nous lui donnerons priorité que certains s’ouvriront à
Dieu et qu’ils accepteront de croire qu’une force de vie, capable de
transformer les hommes habite le monde, car seule cette force d’aimer que Dieu
met en nous est capable d’ouvrir le monde à l’avenir.
Illustrations: le baiser de Judas à la sagrada familia Barcelone
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