De
grandes foules faisaient route avec lui. Il se retourna et leur dit :
26 Si
quelqu'un vient à moi et ne déteste pas son père, sa mère, sa femme, ses
enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon
disciple. 27 Et quiconque ne porte pas sa croix pour venir à ma suite ne
peut être mon disciple.
28 En effet,
lequel d'entre vous, s'il veut construire une tour, ne s'assied pas d'abord
pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi la terminer, 29 de peur
qu'après avoir posé les fondations, il ne soit pas capable d'achever, et que
tous ceux qui le verront ne se moquent et ne disent : 30 « Cet homme a commencé
à construire, et il n'a pas été capable d'achever. »
31 Ou
bien quel roi, s'il part en guerre contre un autre roi, ne s'assied pas d'abord
pour se demander s'il peut, avec dix mille hommes, affronter celui qui vient
au-devant de lui avec vingt mille ? 32 Sinon, tandis que l'autre est encore
loin, il lui envoie une ambassade pour demander les conditions de paix. 33Ainsi
donc, quiconque d'entre vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon
disciple.
La
tradition a rendu populaire une certaine image de Jésus que Théodore Botrel
parmi tant d’autres a chanté dans le folklore breton. Jésus y est présenté
comme le doux Sauveur à barbe blonde avec de grands yeux doux. Le cinéma
américain a contribué pour sa part à vulgariser cette image. Les peintres
classiques n’ont pas échappé à ce canon de beauté pour présenter le visage du
Seigneur.
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Mais ce serait mal lire l’Evangile que de voir Jésus sous ce seul portrait. Le texte que nous avons lu nous présente un autre aspect de Jésus, plus rude, d’où la tendresse est absente. Le rôle de Jésus est de nous faire découvrir Dieu. Ici il le fait sans ménagement car le Dieu dont il est le témoin est différent de celui que Jésus lui-même nous a habitués à découvrir dans ses propos.
Mais ce serait mal lire l’Evangile que de voir Jésus sous ce seul portrait. Le texte que nous avons lu nous présente un autre aspect de Jésus, plus rude, d’où la tendresse est absente. Le rôle de Jésus est de nous faire découvrir Dieu. Ici il le fait sans ménagement car le Dieu dont il est le témoin est différent de celui que Jésus lui-même nous a habitués à découvrir dans ses propos.
Qui est
Dieu pour vous ? En quoi votre existence est-elle affectée par la réalité de
Dieu? Comment agit-il en vous ? Ces questions tant de fois répétées, tant de
fois formulées nécessitent qu’on ose se les poser au moins une fois de temps en
temps. Chacun y répondra mentalement et à sa façon. On pourra dire que Dieu est
une force qui vient d’en haut et qui s’empare de nous, qui habite notre âme et
notre esprit. On dira aussi que c’est une certitude rassurante selon laquelle
notre vie serait ballottée au rythme des hasards dans une société globalisante.
Nous dirons aussi que Dieu donne du sens à notre être. Nous nous garderons de
vérifier si notre réponse est conforme à la dogmatique en vigueur dans notre
église. Mais nous savons fondamentalement, que nous ne chercherions pas Dieu
s’il ne nous avait déjà trouvés, et que c’est lui qui nous pousse à le
chercher. Nous percevons intuitivement qu’il y a un lien entre lui et nous et
nous croyons qu’il a quelque chose à voir avec notre existence dans ce monde.
Il est
donc normal que nous cherchions Dieu, sans pour autant jamais le trouver
complètement. Écoutez ce que dit le poète Kalil Gibran : « Contemplez le
ruisseau, écoutez sa mélodie. Eternellement, il sera en quête de la mer, et
bien que sa recherche n’ait pas de fin, il chante son mystère de crépuscule en
crépuscule. Puissiez-vous chercher le Père comme le ruisseau cherche la mer »
(1)
Nous
savons que Dieu a laissé son empreinte en nous, c’est pourquoi Jésus nous aide
à le trouver. Mais ce Dieu que Jésus nous aide à trouver est très différent de
tout ce que l’on a dit, car il nous devient personnel. Dans le texte de ce
matin Jésus s’implique dans notre recherche et nous provoque volontairement. Il
ne s’encombre d’aucun a priori, et d’une manière surprenante il saute à pieds
joints par-dessus les conventions.
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Il parle de haine alors que nous nous attendons à ce qu’il parle d’amour. « Si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas son Père ou sa Mère… ». Nous avons retenu seulement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
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Il parle de haine alors que nous nous attendons à ce qu’il parle d’amour. « Si quelqu’un vient à moi et ne déteste pas son Père ou sa Mère… ». Nous avons retenu seulement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
Aujourd’hui, dans ce passage, Jésus recommande
de haïr même ses proches. Il n’a aucune
parole rassurante pour mettre un baume sur nos inquiétudes. Pour nous stimuler,
il nous demande de porter notre croix, comme W. Churchill promettait à son
peuple du sang et des larmes. Il ouvre devant nous une perspective de
souffrance et de mort.
Ainsi
provoqués, nous allons pouvoir exercer notre sagacité. En fait, le jeu en vaut
la chandelle. Jésus a l’intention de nous faire sortir des chemins battus. Il
nous montre que Dieu n’a rien à voir avec les critères soigneusement recensés
par les religions. Dieu pour lui ne se trouve pas dans un code de morale. Il
est ailleurs que dans nos définitions théologiques. Dieu se situe avant tout
dans une relation avec nous. Comme il a sacrifié sa divinité pour venir jusqu’à
nous, il s’attend à ce que nous lui consacrions notre humanité.
Il nous
propose sagement de faire le bilan de notre foi en nous racontant cette
parabole banale du roi qui compte ses hommes, puis qui compte les hommes de
l’adversaire et qui négocie la paix en fonction de ses propres forces parce
qu’il préfère se soumettre plutôt que de risquer un combat perdu d’avance. La
paix dans ce contexte devient un accord de moindre mal, un « gentleman agreement
» que l’on a du mal à fonder théologiquement. Or nos vies ressemblent la
plupart du temps à ces côtes mal taillée où l’on essaye de donner à chacun sa
part. Dieu y compris. Nous composons avec Dieu, avec les hommes, avec notre
vertu, avec le temps, si bien que notre existence ne ressemble plus à rien si
non à un « melting pot » sans goût ni grâce ni saveur ni prétention.
En
quelques phrases, Jésus a mis à mal tout notre édifice spirituel, pour que nous
nous efforcions de le reconstruire. Nous n’osons même pas continuer notre
lecture de l’Evangile de peur d’être encore plus déstabilisés car ajoute Jésus,
«quiconque ne renonce pas à tout ce qu’il possède ne peut être mon disciple ».
Il faut comprendre clairement que cela veut dire qu’on ne peut pas découvrir
Dieu en vérité sans abandonner tous les préjugés et tous les acquis de la
société. Le chercheur de Dieu doit donc aller à contre-courant d’une société
qui centralise tout sur l’homme.
Jésus met
notre manière de raisonner totalement en cause en nous rappelant qu’avec Dieu,
c’est tout ou rien. Pas question de partager prudemment entre Dieu et le monde.
Pas question de demander à Dieu de se charger de notre âme d’une part et de
choisir de gérer nous-mêmes et à notre gré nos autres activités. Il nous rappelle
ainsi que Dieu est envahissant.
Jésus
contemple alors la foule qui le suit comme un troupeau bêlant. Il les décrit
comme des moutons cherchant à être pris en charge par un bon berger. Ils
cherchent seulement un confort spirituel auprès d’un maître à la mode qui
paraît pour lors efficace. Jésus renonce à se laisser manipuler par eux, il
n’est pas un gourou rassurant qui profiterait des avantages de ses dons de
guérisseur et de prédicateur pour s’assurer une notoriété. Il provoque la foule
dont nous faisons tous partie pour que chacun sorte de lui-même et assume le
poids de la croix qu’il doit porter.
Vous
voulez être rassurés sur l’avenir de votre âme, vous voulez une religion facile
qui soit distincte des religions traditionnelles. Vous voulez échapper aux
tourments de la vie et être les privilégiés de Dieu, vous ne voulez plus être
malades et vous voulez manger tous les jours à votre faim ! Mais vous valez
mieux que cela, vous n’êtes pas des moutons promis à l’abattoir. Vous avez en
vous la capacité d’être des rebelles, de vivre une passion dévorante, cette
passion peut se vivre avec Dieu, mais elle réclame une rupture.
Dans
l’Ecriture, la rupture est parfois féconde et créatrice, car elle demande à
être habitée par un esprit inventif. La rupture c’est la distanciation
nécessaire qu’il nous faut prendre par rapport aux conventions sociales qui
nous enferment dans des catégories ou des préjugés. Il n’est donc pas étonnant
que Jésus prenne la famille pour cible, parce qu’elle a un pouvoir contraignant
et enfermant sur les individus. Pour que Dieu puisse s’emparer de nous il ne
faut être retenu par aucun autre intérêt. C’est ainsi libérés et placés tout
entier sous le charme de Dieu que nous pourrons devenir les conquérants d’un
monde nouveau. De même que l’homme doit quitter son père et sa mère et s’il
veut aimer sa femme, de même il faut mettre les exigences familiales au second
degré de nos préoccupations pour laisser l’intuition de Dieu nous saisir et
mettre nos vies à la disposition de Dieu.
Combien
parmi nous ne trouvent-ils pas leur existence fade et sans avenir ? Ils se sont
généralement comportés comme le roi de la parabole racontée par Jésus. Ils ont
recherché leurs intérêts, ils ont fait la part des choses, et ils ont donné une
importance calculée à chacun, ils n’ont cependant pas négligé Dieu, mais ils
lui ont seulement réservé une part. Ils ont ainsi construit une vie raisonnable
faite de concessions, sans que le hasard et l’aventure n’y aient leur place.
Dieu mérite mieux que nos petites dispositions de sagesse humaine, il réclame
toute notre activité, tous nos soucis, toutes nos préoccupations, la totalité
de nos personnes. Dieu réclame de devenir le partenaire de notre vie et de la
partager en totalité.
Affranchis
des contingences humaines, Dieu nous rend libres et responsables
Il se peut
que cette joyeuse liberté déplaise aux hommes qui cherchent à nous la prendre
en nous enlevant la vie. Ce fut le cas de Jésus et de bien d’autres après lui.
Mais leur mort ne fut-elle pas un cri de liberté et une ouverture vers la
délivrance. Leur vie était en Dieu et la vie en Dieu est sans limite
puisqu’elle lui est toute consacrée et qu’elle débouche quand tout est accompli
dans la plénitude éternelle de Dieu, sans limite de temps et d’espace.
1. Jésus fils
de l’homme page 71. Albin Michel
Ces images existent sur plusieurs blogs, mais je n'ai pas réussi à en trouver l'auteur. Qu'il soit félicité pour son talent. Si un lecteur trouve son nom, je le remercie de me le communiquer.
Ce texte avec quelques corrections a déjà
été publié en septembre 2010
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