mercredi 28 mars 2018

Luc 24/36-48 Etre ressuscité - dimanche 15 avril 2018


Luc 24/36-48

36 Ils parlaient encore quand [Jésus] lui-même se présenta au milieu d'eux et leur dit: «Que la paix soit avec vous!»
37 Saisis de frayeur et d'épouvante, ils croyaient voir un esprit, 38 mais il leur dit: «Pourquoi êtes-vous troublés et pourquoi de pareilles pensées surgissent-elles dans votre coeur? 39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi. Touchez-moi et regardez: un esprit n'a ni chair ni os comme, vous le voyez bien, j'en ai.»
40 En disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds.
41 Cependant, dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et ils étaient dans l'étonnement. Alors il leur dit: «Avez-vous ici quelque chose à manger?» 42 Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé [et un rayon de miel].
43 Il en prit et mangea devant eux. 44 Puis il leur dit: «C'est ce que je vous disais lorsque j'étais encore avec vous: il fallait que s'accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence afin qu'ils comprennent les Ecritures 46 et il leur dit: «Ainsi, il était écrit [- et il fallait que cela arrive -] que le Messie souffrirait et qu'il ressusciterait le troisième jour,47 et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 Vous êtes témoins de ces choses.


Pour que nous puissions comprendre le mystère de la résurrection, il faut que Dieu s’en mêle, car tout ce  qui nous est révélé ici n’est pas une nouveauté, même si apparemment cela relève du  merveilleux et de l’incompréhensible. La lecture de tout ce que la Bible contient, pour celui qui cherche à la lire avec intelligence,  lui révèle que cela fait partie d’un plan préétabli par Dieu, qui irradie de l’être-même de Dieu. Tout au long des Ecritures, les témoins de Dieu en avaient l’intuition et l’ont révélé sans vraiment le comprendre. Déjà les prophètes avaient  annoncé la réalité d’une vie qui défiait la mort, mais il faudra la mort de Jésus pour la rendre évidente.

Les écrivains bibliques avaient laissé entendre que le Dieu dont ils témoignaient n’était pas conforme à celui que les traditions avaient transmis à son sujet et que le vrai Dieu n’était pas celui à qui on se référait généralement.  Il n’était pas vraiment celui autour duquel s’étaient organisées leurs  croyances. La religion dont  tous se réclamaient ne rendait pas vraiment compte de la vérité qui émanait de lui. La religion à laquelle se référaient la plupart des israélites de l’époque était basée sur le fait que le rapport avec Dieu était conditionné par la référence au péché. Toute la pratique du culte et l’expression de la foi avaient été établies  pour que par le rite et le sacrifice on puisse se libérer du péché et avoir accès à Dieu.

Or voici que le message ultime de Jésus est l’annonce de la disparition de la barrière du péché. Une telle nouvelle nécessitait que l’on voie désormais la réalité autrement. Si une telle  nouvelle était séduisante, elle remettait cependant en cause tout ce que l’on avait reçu du passé. Elle remettait en cause la religion établie depuis un millénaire, elle donnait à Dieu un autre visage qui rendait son approche différente. Le temple n’était plus lui-même nécessaire, les sacrifices non plus. Plus besoin de prêtres ni de clergé. C’est ce que les scribes et les pharisiens parmi ses contemporains avaient cru  entendre de l’enseignement de Jésus. Il remettait trop de choses en cause. Il fallait donc l’éliminer et le retirer du monde des vivants  pour que la foi en lui, si elle faisait école, ne détruise pas les fondements de la religion, voire même de la civilisation. Jésus était donc un danger réel pour la société d’alors

  Aujourd’hui encore nous restons sensibles à certains arguments qui lui ont été reprochés. Le péché garde sur nous une telle emprise que l’on a encore  du mal à admettre qu’il ne maintient plus de  barrière entre Dieu et nous.

Le prodige, c’est qu’après la mort de Jésus ces mêmes arguments  avaient toujours cours. On prétendit que c’était lui-même, revenu des morts qui les tenaient. Une fois mort, il n’aurait pas cessé d’exister et n’avait pas changé de message. Ce n’était pas le fait de quelques visionnaires traumatisés par l’événement qui accréditaient ce message, c’était le message que tenaient maintenant tous ceux qui l’avaient accompagné après l’avoir lâchement laissé condamner et qui l’avaient laissé mourir sans protester ni tenter quoi que ce soit pour le délivrer.

Ils découvraient que l’Esprit de Jésus était venu habiter  en eux,  pour affermir dans leur conscience  l’idée que ce que Jésus  disait de son vivant était non seulement  toujours vrai, mais que lui-même était toujours vivant. Certains même prétendirent l’avoir vu, pourtant   ses principaux amis, dans ces tout premiers temps après  sa mort  étaient restés terrés dans la maison où ils  se  cachaient, tremblant de peur et refusant de se montrer dans la rue.

Il  y avait de quoi être bouleversé et ressentir de la peur tant  ils redoutaient  d’être arrêtés à la fois par la chasse à  l’homme qui les concernait  et par les nouvelles hallucinantes  qui courraient au sujet d’un retour à la vie du défunt  dont on répandait  le bruit sans pouvoir le démontrer.  Ils ressassaient sans doute les causes de sa mort en méditant sur le fait qu’ils n’avaient rien vu venir.  Ils avaient entendu  l’enseignement de Jésus sans en avoir saisi le sens profond.  Ils repensaient  à  ses miracles, ses paraboles, ses algarades avec les dignitaires religieux. Tout cela aurait du leur ouvrir les yeux.  Ceux qui l’avaient fait dans les premiers temps de son ministère l’ avaient quitté depuis longtemps, Jésus s’en été ouvert aux autres et leur avait suggéré de partir,  mais eux étaient restés, fidèlement  sans comprendre.

Alors que maintenant ils commençaient à comprendre, ils se sentaient coupables de l’avoir  laissé seul. Si leur péché  dont ils étaient bien conscients, ne pouvait plus les séparer de Dieu,  que pouvaient-ils encore faire si non accepter que tout cela soit vrai?

Dans ce récit que nous propose l’Évangile de Luc nous trouvons comme la synthèse de tous les événements qui se seraient produits au sujet des apparitions de Jésus dont les autres Évangiles ont fait état. Ce qui domine c’est la peur et l’incrédulité et sans doute, mais ce n’est pas dit le sentiment de culpabilité.  Les questions se bousculaient  dans leur fort intérieur alors qu’ils ressassaient tous ces événements. Comment avaient-ils pu passer à côté de la vérité sans comprendre ? Comment avaient-ils pu le laisser aller à la mort  tout   seul ? Deux solutions étaient alors possibles, celle de se suicider comme le fit Judas, ou celle croire ce qui était encore incroyable.  Il leur fallait croire que ce péché d’ignorance,   d’incrédulité  et de lâcheté qu’ils avaient commis était dépassé et désormais sans conséquence pour leur relation avec Dieu.  Ils étaient prêts alors à accueillir pleinement leur maître  dans leur vie.

Le texte de l’évangile de Luc se poursuit  alors en rapportant toutes les formes de récits  que les autres Évangiles ont donnés aux apparitions du ressuscité. Il mange, il parle, et surtout il confirme le pardon des péchés, le saint Esprit fera le reste. La joie qui désormais s’empare d’eux manifeste la naissance progressive de la foi. Plus rien ne pouvait  faire désormais d’obstacle à une nouvelle forme de relation avec Dieu. L’Éternité s’ouvrait à eux, la résurrection devenait effective, non pas seulement la résurrection de Jésus mais la leur.

Si aujourd’hui, nous pouvons croire encore, que tout cela est vrai, c’est que Dieu ne cesse de travailler notre conscience pour que nous prenions en compte le fait que nous ne croyons pas par nous-mêmes, mais que c’est son esprit qui œuvre en nous  pour que nous croyons  en la vie nouvelle qu’il nous donne par la résurrection et qui nous rend ainsi participants à sa divinité

Illustration : Bartolomeo Suardi dit Bramantino

mercredi 21 mars 2018

Marc 16/1-8 La résurrection de Jésus et la nôtre - dimanche 1 avril 2018


Marc 16/1-8

La résurrection de Jésus

1Quand le jour du sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie mère de Jacques, et Salomé achetèrent des huiles parfumées pour aller embaumer le corps de Jésus. 2Très tôt le dimanche matin, au lever du soleil, elles se rendirent au tombeau. 3Elles se disaient l'une à l'autre : « Qui va rouler pour nous la pierre qui ferme l'entrée du tombeau ? » 4Mais quand elles regardèrent, elles virent que la pierre, qui était très grande, avait déjà été roulée de côté. 5Elles entrèrent alors dans le tombeau ; elles virent là un jeune homme, assis à droite, qui portait une robe blanche, et elles furent effrayées. 6Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ; vous cherchez Jésus de Nazareth, celui qu'on a cloué sur la croix ; il est revenu de la mort à la vie, il n'est pas ici. Regardez, voici l'endroit où on l'avait déposé. 7Allez maintenant dire ceci à ses disciples, y compris à Pierre : “Il va vous attendre en Galilée ; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.”  » 8Elles sortirent alors et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes de crainte. Et elles ne dirent rien à personne, parce qu'elles avaient peur. 



Il y aurait une certaine outrecuidance de la part d’un prédicateur à  vouloir donner un enseignement  sur la résurrection alors que chacun de nous a une idée personnelle sur la question et qu’il s’appuie sur des expériences spirituelles qui ne  se démontrent pas. Certains même pensent que le concept est dépassé et qu’il relèverait d’une  forme de pensée des premiers siècles de notre ère qui n’aurait plus cours aujourd’hui.  La science moderne semble nier la possibilité d’une telle réalité, quoi que le transhumanisme émette de nouvelles idées sur la question

Nous nous contenterons pour notre part de recevoir ce texte de l’Evangile de Marc en essayant d’écouter ce qu’il cherche à  nous dire tout en exerçant un esprit critique à son égard.

Nous savons que l’Evangile de Marc est le plus ancien des Evangiles et qu’il s’appuie donc sur  les plus anciens documents  qui nous soient parvenus concernant Jésus. Il s’achève sur le dernier verset que nous avons lu : « Elles ne dirent rien à personne parce qu’elles avaient  peur. » Les versets suivants ( 9 à 20) font partie d’une finale apocryphe rajoutée à l’Evangile au deuxième siècle pour lui donner une fin acceptable.

L’Evangile s’achève donc sur le récit  de la peur qui s’empare des femmes après qu’elles aient découvert que le tombeau était vide et après qu’elles aient entendu l’ange  qui  leur parlait. Par un tel comportement elles manifestaient non seulement  leur désarroi mais l’incohérence de leur attitude depuis le début du récit.  L’intervention du messager divin, qui devait les rassurer ne fait que déclencher leur panique puisque elles s’enfuirent et ne dirent rien à personne. Mais elles ont bien du parler à un moment ou à un autre, puisque l’affaire a été connue après coup.  Le messager divin n’a donc pas été rassurant, comme il se  devrait,  mais au contraire, il n’a fait qu’augmenter leur inquiétude.

Depuis le début  du récit, les femmes  manifestaient leur malaise. Il est dit qu’elles partirent au lever du soleil non sans avoir pris la précaution d’acheter des aromates. Mais qui pouvait bien en vendre si tôt le matin alors qu’il ne faisait pas encore jour ? Et d’où venaient-elles ? Peut-être de  Béthanie où elles auraient toutes passé la nuit chez Lazare et Marie avec les apôtres. Mais, c’est  à plusieurs kilomètres de Jérusalem, et le déplacement leur aurait pris beaucoup de temps ! On n’en sait finalement rien, et tout cela  semble flou et  n’est guère cohérent.  Etait-ce  une clause de style de la part du rédacteur pour nous faire comprendre  le grand malaise dans lequel elles étaient déjà ?  Tous ces détails ont été soigneusement étudiés, car le texte n’était pas le produit spontané d’un simple témoin. Il a été rédigé plus de vingt ans après l’événement et l’auteur a surement pris le temps de peser ses mots.

Elles ont aussi oublié d’apporter avec elle un levier dont elles auraient du se munir pour  manœuvrer le rocher à l’entrée de la tombe et aucun homme fort et solide  ne les accompagnait pour opérer la manœuvre.  Pourquoi n’ont-elles pas mis les hommes de l’entourage de Jésus au courant de leurs intentions, car c’était non seulement une entreprise difficile qu’elles entreprenaient, mais aussi une opération dangereuse ? Elles envisageaient tout simplement d’ouvrir la tombe d’un proscrit, condamné à mort, sans aucune autorisation des autorités compétentes. Et nous savons que l’autorité romaine n’aurait pas été tendre si elles avaient été surprises  

En abordant ce récit d’une manière plus  pointue, on découvre que l’auteur a plus cherché à créer une ambiance qu’une description précise de l’événement. Il prépare son lecteur à partager le choc spirituel qu’ont ressenti les femmes et à l’introduire dans le climat de doute et de stupéfaction que pourrait produire en lui le constat de la résurrection.

Nous l’avons compris, le but du récit est d’en arriver à nous préparer à accepter  la réalité de la résurrection comme évidente. C’est maintenant le problème de la pierre trop lourde pour être manœuvrer qui se pose. En effet,  la pierre, comme  tout le reste, doit avoir, elle aussi une signification symbolique. Elle sépare non seulement le monde des morts de celui des vivants, mais elle signifie aussi que c’est Dieu lui-même qui a la possibilité de libérer le lieu de la mort et d’y introduire la vie qui prend l’aspect rassurant d’un personnage divin. Il n’a pas à proprement parler l’aspect d’un ange, mais plutôt celui d’un humain. Il n’émane de lui aucune  lumière, il ne présente aucun aspect remarquable qu’on serait enclin à attribuer à un personnage divin, pas d’auréole, encore moins d’ailes, juste une apparence blanche. On ne pourrait faire plus simple et plus rassurant et pourtant elles auront peur. 

Ce personnage est porteur d’une parole. N’est-ce pas par la Parole que Dieu se caractérise dans les Ecritures ? Cette parole est un envoi. C’est en Galilée, dans leurs maisons qu’elles doivent retourner, là où elles vivent, c’est là qu’il y aura une suite, car ici, il n’y a plus rien à voir.

Tout a été raconté pour signifier  que Dieu a pris possession du domaine de la mort et que les humains ne peuvent rien comprendre à ce mystère. Il n’y a aucun  argument qui puisse donner de la cohérence à tout  cela. La pierre présente à l’entrée de la tombe devient inutile puisqu’à l’intérieur de la tombe  il  n’y a rien, si non la certitude de la présence de Dieu. Il y a de quoi avoir peur, car  les témoins se sentent démunis devant tout cela. C’est même effrayant pour elles de constater que Dieu est si proche et que malgré tout il reste invisible. Comment dire cela aux autres ? Mieux vaut se taire sans quoi ils les prendraient pour des folles.

L’Evangile s’arrête là et désormais on prendra pour des fous tous ceux qui parleront de résurrection, car il n’est pas dans la nature humaine de croire que Dieu maintienne la vie quand la mort s’est manifestée. Pourtant, si vous croyez en Dieu, si vous croyez qu’il est maître de la vie, comment pouvez-vous penser qu’il ne peut pas  vous garder en vie quand bien même vous seriez morts ?

Quelle suite donner à tout cela maintenant ? Il n’y a plus qu’à renvoyer chacun vers sa Galilée d’origine, comme l’ange a invité les femmes à le faire. Nous sommes invités à aller vers ces lieux de vie où la vie suit son cours. C’est là que Dieu nous réserve à chacun des expérience spirituelles et personnelles où la vie viendra visiter notre âme, provoquer notre conscience et susciter en nous des mouvements de foi qui feront de nous des intimes de Dieu.


La foi devient alors cette prise de conscience qui se produit en nous et qui nous amène à constater que plus rien ne nous sépare de Dieu ni dans ce temps, ni dans un autre. La pierre qui a été dressée entre Dieu et nous par tous les obstacles de  l’existence est définitivement roulée et Dieu nous envoie, au-delà de nous-mêmes accomplir notre destin d’homme ou de femme. Allez raconter cela à ceux qui ne croient  pas ! Ils vous prendront pour des fous, comme ce fut le cas pour l’apôtre Paul qui fut tourné en ridicule  quand il voulut en parler aux gens d’Athènes. Mais là est le prix du témoignage  que notre foi nous invite à rendre dans ce monde où nous vivons aux côtés de ceux qui ne croient pas.


mardi 20 mars 2018

Marc 11/1-11 Les Rameaux : Et si nous étions nous-mêmes cet âne? dimanche 25 mars 2018


Marc 11/1-11 Les Rameaux

1 Alors qu’ils approchent de Jérusalem, vers Bethphagé et Béthanie, près du mont des Oliviers, il envoie deux de ses disciples 2 en leur disant : Allez au village qui est devant vous ; sitôt que vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s’est encore assis ; détachez-le et amenez-le. 3 Si quelqu’un vous dit : « Pourquoi faites-vous cela ? », répondez : « Le Seigneur en a besoin ; il le renverra ici tout de suite. » 4 Ils s’en allèrent et trouvèrent un ânon attaché dehors, près d’une porte, dans la rue ; ils le détachent. 5Quelques-uns de ceux qui étaient là se mirent à leur dire : Qu’est-ce que vous faites ? Pourquoi détachez-vous l’ânon ? 6 Ils leur répondirent comme Jésus l’avait dit, et on les laissa aller. 7 Ils amènent à Jésus l’ânon, sur lequel ils lancent leurs vêtements ; il s’assit dessus. 8 Beaucoup de gens étendirent leurs vêtements sur le chemin, et d’autres des rameaux qu’ils avaient coupés dans la campagne. 9 Ceux qui précédaient et ceux qui suivaient criaient : Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! 10 Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre père ! Hosanna dans les lieux très hauts ! 11 Il entra à Jérusalem, dans le temple. Quand il eut tout regardé, comme il était déjà tard, il sortit vers Béthanie avec les Douze.



La vérité sur les choses qui concernent Dieu se situe toujours au-delà de ce que nous percevons par nos sens. Nous cherchons à repérer les manifestations de sa toute puissance dans les événements qui attestent de sa grandeur. Nous sommes à l’affût du moindre miracle, comme si c’était le seul élément capable de révéler la présence de Dieu, comme si Dieu n’était repérable que quand il se permettait lui-même de transgresser les lois de la nature qu’il est sensé avoir lui-même fixées. Certes la Bible nous a habitués à voir dans les événements qui y sont rapportés les preuves de la majesté divine, mais la réalité de Dieu se transmet le plus souvent par ce qui ne se voit pas.
En fait d’événement remarquable, c’est le récit d’une aventure pour le moins curieuse qu’il nous est donné de découvrir dans le passage que nous avons lu. Jésus n’y parle pas, mais les hommes crient. Le héros est un âne, un ânon plutôt ! La tradition chrétienne a trouvé dans ce non-événement matière à en faire une fête qu’elle célèbre chaque année en début de printemps. Ici pas de miracle, pas d’enseignement remarquable. Caracolant sur un petit âne qui peine à la montée, entouré d’une bande de braillards, Jésus s’adonne à une parodie dont on n’est pas très sûr d’en avoir décrypté le sens profond.
On a vu dans cet événement l’intronisation royale de Jésus. On a vu dans cette bousculade la volonté de Dieu de faire de Jésus le roi du monde. Il faut beaucoup d’imagination pour décrypter dans cet incident apparemment mineur le signe d’une vérité théologique majeure. Cette manifestation n’est, sans doute pas assez évidente pour que Jésus soit reconnu comme le successeur du grand roi David et qu’on lui donne le titre de Messie. Même si Jésus lui-même a voulu que les choses soient ainsi, il n’est pas sûr que nous soyons amenés à en tirer les bonnes conclusions.
Si Jésus est le successeur du roi David, s’il est le Messie et qu’il se présente pour nous comme notre roi, qu’est-ce que cela change d’ailleurs dans notre existence ? En quoi Jésus règne-t-il sur nous. Si cette question a tourmenté les croyants des premiers siècles, habitués à l’autorité des rois et au poids des traditions, en quoi peut-elle nous intéresser aujourd’hui, nous qui ne savons même plus ce qu'est un roi ? Il y a sans doute un sens caché aux choses qu’il nous faut découvrir si nous voulons comprendre.
N’ayant plus de roi ici bas, nous nous plaisons à transférer la royauté de Jésus dans une autre réalité. Nous pensons habituellement que l’Évangile, à force de travailler intérieurement la conscience des peuples finira bien par provoquer une révolution lente qui instaurera une société plus juste, dans la quelle, tous les hommes devenus égaux ne rivaliseront plus entre eux. Comme personne n’y croit vraiment on a rejeté la réalisation d’une telle utopie à plus tard, dans un royaume céleste où Dieu règnera en maître sur un monde nouveau où les hommes ressuscités n’auront plus aucune réalité matérielle pour rivaliser entre eux et finiront par s’aimer par la force des choses. Y croyons-nous vraiment ? La question reste apparemment sans réponse.
Revenons alors à notre récit, essayons de mieux percevoir la pensée de Marc, l’auteur de cet évangile. Rejoignons le, trente ans avant la rédaction du récit que nous avons lu, au moment des faits. A cette époque, encore enfant, il arpentait, les rues de Jérusalem à la suite de Jésus. Peut être était-il un de ces gamins qui cassaient des branches en vociférant. Certains détails de ses écrits laissent entendre que très jeune, il faisait sans doute partie de l’entourage de Jésus. Au lieu du récit officiel de l’événement que nous avons lu et qu’il aurait écrit trente ans après, imaginons ce qu’il aurait pu écrire sur un cahier d’écolier quelques jours après. Ce n’est évidemment qu’une pure fiction :
« Les événements qui se sont passés à ce moment là resteront gravés à tout jamais dans ma mémoire. Je n’étais encore qu’un enfant, mais je suivais ses disciples pas à pas. J’étais là le jour où le maître a traversé Jérusalem sur un petit âne. Ce ne fut pas un grand moment ; la police du Temple n’aurait jamais permis qu’on organise une procession à proximité du sanctuaire sans autorisation. Ce n’était pas un tout petit âne d’ailleurs, c’était une bête qui n’était pas adulte, mais capable de porter un homme, sur un court trajet. C’est sans doute pour cette raison que tout cela n’a pas duré longtemps et que la police n’en a rien su. Jésus qui ne disait rien, s’appuyait au passage sur les gens qui l’entouraient pour ne pas peser trop lourd sur l’animal. Ses disciples dont je m’étais écarté pour brandir moi aussi des branches de palmiers étaient gênés. Ils ne comprenaient pas que Jésus se laisse aller à un tel spectacle, mais les gamins dont j’étais prenaient beaucoup de plaisir à agiter leurs branches. L’âne aussi semblait participer à la fête. On aurait dit qu’il était fier de servir à quelque chose, comme si tout cela ne pouvait se faire sans lui, et moi aussi, j’étais content d’être là, même si je ne savais pas à quoi je servais, j’avais l’impression d’être utile. Puis très vite tout s’est arrêté on approchait du Temple et tout rentra dans l’ordre. »
Dans les récits relatant le même événement rapporté par les trois autres évangiles, le fait que l’animal soit un ânon pose problème car c’était un animal apparemment trop faible pour être monté. L'Évangile de Matthieu rajoute la présence de l’ânesse sa mère, ce qui rend les choses plus cohérentes, et conforme à la prophétie de Zacharie (9 :9). « dites à la fille de Sion, voici que ton roi vient, plein de douceur monté sur une ânesse, sur un ânon, le petit d’une bête de somme. » Quoi qu’il en soit c’est l’âne qui est au centre du récit et non pas Jésus. Jésus, quant à lui ne dit pas un mot, si bien que nous devrons faire fonctionner les cellules grises de notre cerveau si nous voulons comprendre. Une seule parole de Jésus nous a cependant été rapportée et, comme de juste, elle concerne l’âne : «Le Seigneur en a besoin » dit-il pour justifier son emprunt.
En fait sans cet âne, cet épisode n’aurait aucun sens. L’âne était considéré comme la monture royale du roi David qui avait, dit-on, des régiments d’ânes et chevauchait lui-même un âne de guerre. Un animal grand, au sabot sûr, monture parfaite pour porter la guerre en montagne et conquérir Jérusalem comme ce fut le cas. Mais cet ânon dont il s’agit ici, n’était pas une monture de combat ni de parade, il était incapable de porter trop longtemps un homme, même sans arme. Pourtant ici c’est l’âne qui fait le roi. Sans âne, il ne serait pas possible de discerner un sens royal à cette fête. Sans âne il n’y aurait pas d’allusion au roi mythique de la tradition, sans âne pas de Messie, pas de symbole. Si ce sont les gens qui acclament, c’est l’âne qui donne du sens à l’événement.
Le glissement est alors facile à faire de l’âne au chrétien. Celui qui porte le roi, celui qui atteste que Jésus est le Messie, c’est le petit âne, et par extension, c’est le modeste serviteur que l’on ne remarque pas, c’est vous, c’est moi. L’âne désigne ici le chrétien de base, incapable de manifester quoi que ce soit par sa parole sur la messianité de Jésus, mais capable de le désigner comme celui qui règne sur lui par ses actes. C’est par l’action constante et persévérante des chrétiens de base que Jésus est rendu manifeste à la face du monde et non pas par les sermons et les discours des clercs et des savants.
Ce récit fonctionne comme un encouragement muet de la part de Jésus en direction des plus modestes parmi nous. Toutes les petites actions en faveur des autres que nous pouvons faire, tous les petits témoignages que nous pouvons apporter sont autant de petits gestes qui manifestent la royauté de Jésus sur notre personne. Qui que nous soyons, comme le petit âne trop faible, Jésus a besoin de nous.
L’âne en avançant porte le Seigneur qu’il ne voit pas puisqu’il est sur son dos. Le croyant qui agit en faveur des plus petits que lui et qui témoigne de son amour pour Dieu ou pour les hommes ne voit pas forcément le Seigneur, mais comme l’âne il sait sa présence et cela lui suffit pour avancer. Cette collaboration anonyme avec Dieu donne tout son sens à notre vie. C’est cette présence de Dieu en nous qui nous permet de comprendre ce que nous sommes venus faire sur cette terre. Avec lui nous marchons dans la bonne direction, celle de l’éternité de la fraternité et de l’unité des hommes avec Dieu.
Que le Royaume de Dieu mette du temps à se réaliser, peu importe, ce ne doit pas être notre souci. Sans pour autant voir le maître, il nous suffit de sentir sa présence.
illustrations: ivoire/Constantinople 950/1000