J'entends une voix crier: Ouvrez un chemin au Seigneur dans le désert. Dans cet espace aride, frayez une route pour notre Dieu
A l'instar du poète qui se plaisait à charmer celle dont il était amoureux en l'entraînant dans son jardin pour admirer ses roses, je me plais à découvrir les charmes de Dieu en cherchant à le rencontrer dans les fleurs de mes parterres.
Mignonne allons voir si la rose
sa robe de pourpre au soleil
a point perdu ceste vesprée
les plis de sa robe pourprée
Ainsi Ronsard invitait-il sa belle à se reconnaître dans une fleur juste éclose. Mais à peine avait-il contemplé la fleur au doux parfum, qu'il constatait comme à regret que les pétales à peine ouverts annonçaient déjà la fin et se préparaient à laisser disparaître toutes ces beautés.
Las! Voyez comment en peu d'espace
Mignonne elle a dessus la place
Las ses beautés laissé choir!
Il exhortait ainsi celle dont il était énamouré à céder à ses avances sans tarder, car les lendemains seraient moins enivrants que ce qui s'offrait à eux le jour même. Le poète se trompait. Mais il ne cherchait pas à découvrir la présence de Dieu, il cherchait seulement à séduire une femme et son amour frivole le poussait à presser sa conquête pour qu'elle cède à ses avances.
Quand je descends dans mon jardin, au moment où le jour se lève, je m'attache à découvrir la main de Dieu qui m'ouvre la porte de la journée qui commence. Ainsi, si la fleur que j'ai aimée la veille a changé de forme et même de couleur, elle n'a pas pour autant cessé de participer à l'évolution merveilleuse de la vie. Elle a abandonné ce jaune parfaitement pur qui me ravissait pour laisser ses pétales se border d'un ourlé rose, comme si une main divine avait modifié son apparence pour que le jour nouveau soit différent du précédent. Quand la rose vient à faner, car tel est son destin, c'est sa compagne de branche qui la remplace. Ainsi en est-il chaque jour jusqu'à ce que la dernière fleur cède ses charmes à l'automne. Mais rien n'est encore fini, la saison qui rougit les feuilles ne manque pas l'occasion de saupoudrer le rosier de givre qui scintille comme le ferait autant de minuscules diamants sous le soleil levant. Ce sera bientôt l'hiver et par chance peut être, l'arbuste se couvrira d'en manchon immaculé pour émerveiller davantage l'observateur zélé. Dieu n'était pas particulièrement à l'oeuvre dans cette rose, car Dieu ne se confond pas avec la nature. Mais cette rose m'a permis de rejoindre Dieu, de penser à lui et de me laisser conduire par lui.
Cette parabole un peu mièvre de la rose nous apprend que chaque jour est un jour nouveau que Dieu vient habiter pour notre ravissement et il suffit parfois, seulement d'un regard de sa part, pour que la journée qui vient soit transformée. Chaque jour, chacun de nous est invité à jouer sa partition pour que le jour à peine commencé devienne plus beau.
Lecteur, si tu m'accompagne encore dans mon jardin, tu remarqueras que mon sécateur meurtrier s'en prend maintenant à l'arbuste porteur de tant de merveilles et se met à le torturer. Il taille, il coupe, il ampute, il fait apparemment souffrir le rosier qui s'est endormi pour le long hiver et qui ne peine qu'en apparence. Quand le printemps s'éveillera pour une nouvelle saison, il n'en sera que plus beau et le ravissement sera à nouveau au rendez-vous.
Certes chaque jour n'est pas seulement fait de ravissements, les joies font souvent place aux peines et à l'incompréhension. Ma bonne humeur et mon désir de voir les choses sous leur meilleur angle ne m'habitent pas forcément. La tiédeur de l'automne n'arrête pas le froid de l'hiver qui tue et massacre tout ce qui n'a pas été protégé contre ses rigueurs. Mais que la leçon de la rose nous apprenne à accueillir chaque jour le Seigneur qui vient pour ouvrir à l'existence ce qui n'existe pas encore.
Chaque matin à ton lever il est là, et si la nuit a été dure ou angoissante, sais-tu qu'il était quand même là. Dans le programme de la longue journée qui commence et pour laquelle tu crois avoir tout prévu, c'est encore Dieu qui est là et qui apporte son aide et son enthousiasme pour surmonter ce qui te contrarie. Il n'y a pas un seul instant dans la vie des humains où Dieu ne trouve sa place et tout ce qui se passe se déroule sous son regard. Si ce n'est pas lui qui crée l'événement, c'est lui qui t'accompagne pour que ce soit toi qui le crées, et s'il est étranger aux accidents du chemin,il n'est pas étranger aux solutions qui sont apportées.
Dieu ne programme pas notre journée à notre place, et surtout, il ne se sert pas des événements qui nous sont contraires pour nous punir des fautes que nous avons pu commettre. Jésus s'est attaché à nous libérer de ce fatalisme auquel les anciens prophètes n'avaient pas toujours échappé. Pourtant, nous nous laissons encore séduire par ce principe. Nous trouvons qu'il est plus facile de considérer que Dieu est responsable de tout ce qui ne va pas : "c'est le bon Dieu qui t'a puni!" sommes-nous tentés de dire. Mais ce n'est pas lui qui nous punit, au contraire il nous permet de prendre du recul et de libérer ainsi l'avenir en ouvrant de nouvelles perspectives .
Le peuple d'Israël dont nous sommes les héritiers avait tendance à lire son histoire de la façon culpabilisante que nous venons de suggérer. Selon lui, Dieu aurait programmé la défaite d'Israël contre les armées de Babylone pour le punir de son infidélité. Selon certains écrits, Dieu n'aurait pas supporté que l'on bafoue ses lois et aurait convoqué lui-même les armées ennemies pour corriger son peuple ingrat, afin qu'il réapprenne à tout recevoir de sa main. Nous avons encore tendance aujourd'hui à faire la même lecture au sujet des événements qui ont marqué son histoire. C'est à partir d'une telle interprétation que s'est forgé la théologie culpabilisatrice propre au judéo-christianisme qui contribue très certainement à la défaveur de nos églises.
Une autre lecture des événement est certainement possible, car les textes prophétiques eux-mêmes laissent transparaître une autre manière de voir les choses. En fait les Hébreux en exil se sont nourris d'illusions. Ils croyaient retrouver la grandeur passée après un temps de pénitence, mais cela ne s'est pas produit. Certes, ils sont revenus sur la terre d'où ils avaient été chassés, mais ils resteront toujours un peuple vassal de l'empire perse, si bien que Zorobabel, le dernier descendant de la lignée royale, sera à tout jamais balayé de l'histoire le jour où il tentera de relever la tête et de revendiquer le trône que Dieu avait promis à David de ne jamais laisser sans successeurs.
Les prophètes ont-ils trompés leur peuple quand ils lui promettaient un futur glorieux? A-t-on corrigé leurs textes pour donner du sens à l'histoire ? Il est établi que les textes ont été réécrits plusieurs fois. Mais il est certain aussi qu'ils nous ont transmis des messages qui n'allaient pas forcément dans le sens de la faute et du châtiment. Les textes ne portent pas tous la marque culpabilisante des scribes du quatrième siècle av JC qui leur ont apporté la touche finale. Certains nous sont parvenus avec une fraîcheur surprenante porteuse d'une autre espérance:
"Une voix crie...ouvrez le chemin du Seigneur...frayez une route pour notre Dieu
Le prophète ne parle pas d'un avenir précis, il se contente de dire que Dieu vient et qu'il incombe à chacun d'entre-nous de préparer sa venue. Cette venue n'est pas un événement du futur, mais elle s'actualise chaque jour. Dieu est alors perçu comme celui qui vient et comme celui qui intervient.
Il n'est pas de meilleur endroit dans la Bible que les textes qui parlent de l'exil pour comprendre que Dieu vient. Malgré la chute de la monarchie, malgré la défaite et l'exil, Dieu vient. Il redonne espoir à ce peuple qui restaure le culte sans le Temple et sans les prêtres et qui se met à espérer. Si le peuple d'Israël en pleine débâcle a pu forger l'idée du retour et d'une restauration glorieuse, c'est qu'il n'avait jamais cessé d'espérer. Ce n'est qu'après s'être habitué à l'exil qu'il a interprété son histoire selon une théologie de la faute et du repentir, mais c'est l'espérance en ce Dieu qui vient chaque jour qui a été première, et c'est elle qui a maintenu les déportés dans l'attente.
L'interprétation culpabilisante viendra plus tard, elle sera le fait des scribes qui ont repensé après coup les événements de telle sorte qu'ils pouvaient en insistant sur la culpabilité collective maintenir leur peuple sous leur contrôle. Curieusement, cette attitude a été pendant longtemps celle des églises, pour les mêmes raisons. Mais la venue de Dieu reste toujours l'événement premier et ne porte pas en soi l'idée de faute et de culpabilité.
N'est-il pas plus positif et porteur d'espérance de penser que Dieu vient ouvrir chaque nouvelle journée de sa présence sans que nous nous sentions coupables ou redevables de quoi que ce soit.
Mais revenons maintenant à notre parabole de la rose qui s'embellit chaque jour pour réjouir, ne serait-ce qu'un instant, celui qui passe en la regardant. Ce simple fait nous rappelle que Dieu nous salue chaque jour car il se tient sur notre passage. Il faut donc que nul n'hésite à lui ouvrir sa porte pour l'inviter à pénétrer à l'intérieur de sa maison , de sa voiture ou de son bureau et à l'accueillir au milieu des activités du moment. Nous constaterons alors que la présence de Dieu donne de la beauté à tout, même à ce qui est laid, c'est pourquoi chacun doit apprendre à collaborer avec lui.
Si la rose que nous évoquions est belle, ce n'est pas seulement le fait de la nature, car elle deviendrait bien vite un buisson épineux si on ne la taillait ou si on ne lui prodiguait les soins nécessaires. Mais quand on a tout fait pour qu'elle soit belle, osera-t-on douter du fait que c'est Dieu qui l'a rendu ainsi.
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