mercredi 26 mai 2010

Le repas chez Simon Luc 7: 36-50 dimanche 13 juin 2010




Luc 7:36-50

36 Un des Pharisiens pria Jésus de manger avec lui. Jésus entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. 37 Et voici qu'une femme pécheresse, qui était dans la ville, sut qu'il était à table dans la maison du Pharisien ; elle apporta un vase d'albâtre plein de parfum 38 et se tint derrière à ses pieds. Elle pleurait et se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus, puis elle les essuyait avec ses cheveux, les embrassait et répandait sur eux du parfum. 39 A cette vue, le Pharisien qui l'avait invité dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est la femme qui le touche et ce qu'elle est : une pécheresse.
40 Jésus prit la parole et lui dit : Simon, j'ai quelque chose à te dire. — Maître, parle, répondit-il. — 41 Un créancier avait deux débiteurs ; l'un devait cinq cents deniers et l'autre cinquante. 42 Comme ils n'avaient pas de quoi payer, il leur fit grâce de leur dette à tous deux. Lequel l'aimera le plus ? 43 Simon répondit : Celui, je suppose, auquel il a fait grâce de la plus grosse somme. Jésus lui dit : Tu as bien jugé.
44 Puis il se tourna vers la femme et dit à Simon : Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m'as pas donné d'eau pour mes pieds ; mais elle, elle a mouillé mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. 45 Tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a pas cessé de me baiser les pieds. 46 Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête ; mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. 47 C'est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu'elle a beaucoup aimé. Mais celui a qui l'on pardonne peu aime peu. 48 Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés. 49 Ceux qui étaient à table avec lui se mirent à dire en eux-mêmes : Qui est celui-ci, qui pardonne même les péchés. 50 Mais il dit à la femme : Ta foi t'a sauvée, va en paix.
Si vous avez prêté un tant soit peu d’attention à la lecture de ce texte et que vous l’avez écouté non seulement comme un récit issu de l’Evangile mais aussi comme un texte littéraire, vous aurez sans doute été séduits par sa capacité à retenir l’attention de son lecteur. Vous aurez alors remarqué l’art de l’Evangéliste Luc qui retient notre attention en faisant rebondir l’intrigue jusqu’à la conclusion du récit.Celle-ci nous nous laisse perplexe. C’est l’effet recherché. Elle provoque en nous un questionnement qui ne recevra de réponse que de notre propre réflexion. C’est ici l’usage d’ une méthode interactive bien avant que la mode s’en soit répandue.

Que dire en effet de l’association que Jésus fait entre les mots de pardon et d’amour ? Habituellement ces deux mots ne vont pas ensemble et pourtant pour Jésus l’association de ces deux mots devient logique : La femme sera d’autant plus pardonné qu’elle aura beaucoup aimé. Ainsi l’art littéraire de Luc se met-il au service de Jésus pour faciliter la transmission de son Evangile d’une manière remarquable.

Il nous faut voir maintenant comment Jésus en arrive à cette conclusion. Aujourd’hui, le mot « amour » a tendance à se vulgariser. Non seulement on l’utilise à tort et à travers, mais on en fait usage dans toutes les langues et en particulier en anglais. Il a même trouvé ses lettres de noblesse en argot. Notre vénérable Eglise Réformée a osé inviter ses jeunes à un grand « kif », c’est tout dire ! On représente aussi ce mot par un graphisme en forme de cœur ce qui permet de le comprendre dans toutes les cultures. Ainsi on aime la couleur de sa voiture, on aime ses enfants ou sa femme. On aime les voyages ou les idées d’un philosophe à la mode. Les jeunes usent de ce mot avec excès. Sans doute les plus érudits d’entre vous aimeraient intervenir pour rappeler que le verbe aimer se dit de trois façons différentes en grec qui est la langue des philosophes, comme chacun sait. Je ne les mentionnerais que pour mémoire, histoire de faire sérieux. Il s’agit d’héros, d’agapé et de philein.
Mais loin de moi l’idée de m’attacher à ces 3 sens. Je ne suis pas en train de faire une dissertation de philo, et si un candidat au bac se risquait à utiliser mes arguments, il risquerait d’être déçu par la note finale, car je m’exprime en français et le français mélange allègrement les 3 sens du mot qui reste unique dans notre langue.

Même si Jésus utilise le mot « agapé » pour l’associer au mot pardon, nous ne pourrons établir la nuance dans notre langue. Nous n’entendrons pas la distinction que le grec fait entre les 3 termes et nous comprenons donc que la femme sera pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé, sans savoir quelle nuance on donnera au verbe aimer.
Notre récit s’ouvre sur la description d’un repas qui nous paraît somme toute assez banal tant il est habituel pour Jésus de manger le soir à la table d’un notable. Ce soir là c’est chez un homme religieux de la tendance des pharisiens qu’il est invité. L’atmosphère semble détendue, mais pour qui sait lire entre les lignes on aura vite perçu qu’il y a une forme de mal entendu ou de tension à peine perceptible entre Jésus et son hôte. Ce dernier, en effet, n’a pas respecté à l’égard de Jésus les convenances prévues par les us et coutumes de ce temps là. On avait l’habitude de laver et d’essuyer les pieds des visiteurs. Cela n’a pas été fait pour Jésus. Etait-ce une forme de mépris affiché pour ce prédicateur de passage que l’on avait invité pour meubler le temps dans ces longues soirée de jadis ? Etait-ce au contraire le signe d’une grande intimité entre Jésus et celui qui l’avait invité puisque Jésus s’est permis de l’appeler par son nom et que dans une telle circonstance on aurait pu ne pas faire de manière ?

C’est sans doute la première hypothèse qui est la bonne, car on sent pointer une forme de soupçon dans la pensée de Simon qui est à l’origine de l’invitation . Il n’ose pas s’exprimer à haute voix, mais Jésus perçoit fort bien une réserve de sa part. « Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme ? » Pense-t-il. Il soupçonne donc Jésus de ne pas être ce qu’il est ! On pourrait même penser que c’est volontairement qu’il a laissé s’introduire dans sa demeure une femme inconnue, ou trop connue, à la vertu facile. Soupçon donc !

Jésus ne réagit pas à cette opinion de Simon qui n’a pas été formulée d’une manière intelligible. Il commence donc un enseignement en forme de parabole comme il le fait d’habitude Il est d’ailleurs là pour ça, et il faut bien le dire, c’est là le prix de son repas ! Il raconte une parabole apparemment insignifiante qui traite de la reconnaissance que l’on est en droit d’espérer en échange d’un geste de charité ! Simon interrogé répond juste ! Mais aurait-il pu répondre autrement ? Le plus reconnaissant des deux débiteurs, c’est celui a qui on a remis le plus. C’est évident ! Pourquoi donc avoir fait venir ce prédicateur si c’est pour l’ entendre dire des banalités?

C’est alors que Jésus revient à la femme. Il ne lui a jusque là accordé aucune attention. C’est pourtant elle qui a motivé le sujet de la parabole dont Jésus a fait le récit, mais Simon n’a sans doute pas saisi le déroulement de la pensée du maître. En deux mots Jésus absout cette femme de tous les reproches qu’on peut lui faire. Le seul argument qu’il retient en sa faveur c’est son amour, et de quel amour s’agit-il quand on parle d’une femme à la réputation sulfureuse ?
Jésus utilise certes le mot agapé, celui dont le sens est le plus spirituel. En agissant comme elle l’a fait, la femme a exercé de l’amour envers Jésus. Elle lui a lavé les pieds de ses larmes elle les a essuyés de ses cheveux et elle les a parfumés ensuite. Elle a exercé de l’amour envers Jésus, parce qu’elle a donné de sa personne pour lui apporter un peu de confort. C’est cela l’idée maîtresse de l’Evangile ! L’égard que l’on manifeste pour les autres a plus de valeur que tous les rites, toutes les argumentations, tous les commandements de la Loi. Par son geste cette femme a su prendre de ce qui était à elle pour le seul bien être de Jésus.
Ses larmes, ses cheveux, son parfum ! A quoi cela sert-il ? A rien ! Jésus ne sortira pas plus riche de cette aventure, mais il en sortira honoré et grandi. Le pharisien n’a pas honoré Jésus, il a mis du soupçon dans ses pensées et il n’a pas respecté les règles de bien séance à son égard. Même s’il lui a offert un repas Jésus ne sort en rien grandi par la relation que l’autre a établie avec lui.

Une telle remarque va nous aider à préciser la valeur de l’amour telle que Jésus l’entend. Le monde d‘aujourd’hui est désenchanté. Il essaye de compenser son marasme par la recherche de l’émotion qu’il trouve sans doute dans la surexploitation du mot amour. Mais comment l’entendons-nous ? Ce mot semble ne prendre vraiment d’intérêt que parce qu’il nous valorise nous-mêmes. Nous aimons tout ce qui nous fait sortir de la médiocrité ambiante et qui nous met nous-même en valeur. Nous aimons le soleil et les voyages, nous aimons les bons repas, nous aimons les enfants sages mais sommes-nous capables d’aimer notre prochain comme nous-mêmes ?

C’est dans cette question et dans la manière dont nous saurons y répondre que se joue aujourd’hui le destin du monde. Le monde ne peut évoluer harmonieusement que si quelque chose change dans le comportement des hommes entre eux. La pratique de l’amour consiste à prendre ce qui est à nous pour le mettre au service des autres afin qu’ils aillent mieux. Jésus n’a pas d’autre réponse à apporter pour solutionner nos problèmes. Dieu reconnaît la valeur de nos actes d’amour quand ceux-ci permettent aux autres de se trouver mieux.

Ainsi malgré l’usage excessif du mot amour dans notre société contemporaine, ce n’est toujours pas lui qui mène le monde, c’est le culte de la personnalité, c’est le désir de se valoriser soi-même au détriment des autres. Jésus sera sanctionné pour avoir dit ce qu’il a dit et nous sommes aujourd’hui méprisés si nous essayons de l’imiter. Pourtant, il y a des prophètes modernes qui savent dire encore l’amour avec beaucoup de générosité En le disant, ils réussissent à capter la faculté des peuples à s’émouvoir si bien que le souffle de l’Evangile continue à se répandre même si les poètes qui le disent ne se réclament pas forcément de la même tradition que la nôtre.
« Aimer à perdre la raison ,
Aimer à n’en savoir que dire,
A n’avoir que toi d’horizon… »
disait le chanteur Jean Ferrat, il parlait d’un amour qui coûte à celui qui le pratique
« La faim la fatigue et le froid,
Toutes les misères du monde
C’est par mon amour que j’y crois
En elle je porte ma croix
Et de leur nuit ma nuit se fonde. »

2 commentaires:

ghislaine a dit…

aumônier catholique d'un hopital, je fais souvent des recherches pour me donner des idées...Votre commentaire de cet évangile est d'une grande pertinence. Merci et continuez ainsi

Narai a dit…

Bonjour, Narai, de tahiti.
L'idée principale de ce texte c'est qu'il y a deux types de pécheurs: ceux qui se croient meilleurs que les autres et qui n'ont pas grand chose à se faire pardonner (le débiteur qui devait la plus petite somme) représenté par Simon, et ceux qui reconnaissent l'horreur de leur condition pécheresse et pleure aux pieds de Jésus, comme la femme pécheresse. Dans un autre texte Jésus dit que ceux sont ceux qui sont malades qui ont besoin d'un docteur, en d'autres termes, ceux qui se savent perdus ont besoin d'un Sauveur. Ceux qui se croient justes n'en auront nullement besoin.