mercredi 16 mai 2012

Marc 14:12-26


ENQUÊTE  POLICIÈRE  A JÉRUSALEM 

 DIMANCHE  10  JUIN  2012


12Le premier jour des Pains sans levain, le jour où l'on sacrifiait la Pâque, ses disciples lui disent : Où veux-tu que nous allions te préparer le repas de la Pâque ? 13Il envoie deux de ses disciples et leur dit : Allez à la ville ; un homme portant une cruche d'eau viendra à votre rencontre ; suivez-le,14et là où il entrera, dites au maître de maison : Le maître dit : Où est la salle où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? 15Il vous montrera une grande chambre à l'étage, aménagée et toute prête : c'est là que vous ferez pour nous les préparatifs. 16Les disciples partirent, arrivèrent à la ville, trouvèrent les choses comme il leur avait dit et préparèrent la Pâque.

17Le soir venu, il arrive avec les Douze. 18Pendant qu'ils étaient à table et qu'ils mangeaient, Jésus dit : Amen, je vous le dis, l'un de vous, qui mange avec moi, me livrera. 19Attristés, ils se mirent à lui dire l'un après l'autre : Est-ce moi ? 20Il leur répondit : C'est l'un des Douze, celui qui met avec moi la main dans le plat. 21Le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui. Mais quel malheur pour cet homme par qui le Fils de l'homme est livré ! Mieux vaudrait pour cet homme ne pas être né.

22Pendant qu'ils mangeaient, il prit du pain ; après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna en disant : Prenez ; c'est mon corps.23Il prit ensuite une coupe ; après avoir rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. 24Il leur dit alors : C'est mon sang, le sang de l'alliance, qui est répandu pour une multitude. 25Amen, je vous le dis, je ne boirai plus du produit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu.



Que peut bien faire là, tout seul cet homme avec une cruche ? Il est sans doute d’un aspect assez banal pour qu’on ne fasse pas attention à lui mais assez insolite pour  qu’une personne correctement avertie puisse le repérer.  En effet, l’usage voulait que ce soit plutôt les femmes qui portent les cruches d’eau, c’est pourquoi les deux compères envoyés par Jésus n’ont aucun mal à le repérer. Pas un seul mot n’est échangé. Ils le suivent vers une demeure dont l’hôte est resté anonyme. Cependant  tout  a été préparé. Ces quelques constatations suffisent  pour que l’on sente peser l’atmosphère de suspicion dans laquelle  se déroule le récit qui va suivre. Jésus craint les espions qui peuvent venir de l’extérieur, c'est-à-dire de ceux qui sont envoyés par les autorités pour  repérer où il se cache. Peut-être la trahison viendra-t-elle  de l’intérieur de sa propre communauté,  peut être même, le sait-il déjà ?

Jésus n’est pas un naïf,  il a tout un réseau d’amis fidèles qui se sont mobilisés pour que tout se passe bien et que les choses se fassent comme il les a prévues.  Ici, quatre personnes au moins se sont compromises pour se mettre à son service dans une ville où le danger le guette à chaque coin de rue. Le propriétaire e la maison (1), le porteur de cruche, et les deux disciples anonymes.

Le soir, quand tout est prêt le maître n’a plus qu’à se mettre à table avec les douze. Les autres ont disparu. Le repas pascal peut avoir lieu. Dernier repas de Jésus, première Sainte Cène que préside le Christ entouré de ceux qui constituent l’embryon de la première église. Faut-il rappeler à votre mémoire la scène de Léonard de Vinci avec les douze qui s’interrogent par groupes de trois pour savoir lequel d’entre eux trahira le maître.

Les paroles ambiguës de Jésus à propos d’une éventuelle dénonciation  les consternent. « Est-ce moi ? Est-ce un autre ? » Se demandent-ils,  alors que vraisemblablement,  ils savent tous déjà qui va trahir. Interpelés par la tradition et par des thèses plus récentes, nous  nous demandons s’il faut le considérer comme un abominable traître ou comme un héros. Même si certains penchent pour la thèse du héros, sans pour autant avoir recours à cet apocryphe qui a défrayé l’actualité, il y a quelques années, il n’en reste pas moins vrai que dans l’Evangile, c’est une atmosphère d’angoisse de suspicion et de trahison qui plane.

Indépendamment du rôle tenu par Judas, nous savons qu’aucun des onze autres ne va jouer un rôle remarquable. Chacun, à sa façon va trahir, et aucun n’aura l’excuse que l’on prête à Judas  qui aurait trahi soit par ordre du maître, soit par une décision à caractère politico-religieux visant à contraindre Jésus à se révéler comme Messie, soit tout simplement par intérêt personnel, parce qu’il était avide. Les autres sont tout simplement des couards, ils ont eu peur, ils se sont sauvés comme des lapins au moment de l’arrestation.  Pierre lui-même a fait pire, il a dit des paroles inadmissibles  de reniement. Voila une belle brochette d’anti-héros qui deviendront tous, par la suite les chefs de l’Eglise.
 
Ses amis, car ce sont ses amis entourent le maître qui va faire les gestes que l’on sait et prononcer les paroles que l’on sait.  Pauvre Jésus, savait-il qu’il jetait là une pomme de discorde entre les futures églises, si bien  qu’on ne peut pas considérer que  les traîtres de jadis étaient pas meilleurs que les traîtres d’aujourd’hui. On a depuis passé au crible chaque geste de Jésus pour en trouver la signification. On a étudié chacune de ses paroles dont on a cherché le sens caché qu’elles pouvaient avoir en hébreu ou en araméen et même en copte ancien. Chaque fois ces arguments ont servi à diviser les hommes entre eux, à dresser des barrières entre les églises et à répandre la haine, alors qu’il s’agissait de  rendre compte de l’acte d’amour  le plus sublime que Jésus ait accompli ce soir là.

Jésus a  tout simplement tenté d’expliquer que ce repas, qu’ils seraient appelés à célébrer à nouveau en mémoire de lui, garderait à tout jamais l’empreinte de sa vie  alors qu’il ne serait plus là. La mort cruelle vers laquelle il s’acheminait était un défi que Jésus relevait pour révéler que Dieu  restait présent dans la vie des hommes quand bien même la mort les engloutirait

L’acte le plus sublime de la vie de Jésus se déroulait ce soir là au milieu d’hommes apeurés qui ne comprenaient pas  que leur maître accomplissait un enseignement en actes, qui allait être déterminent pour la  suite. Ils étaient invités à comprendre dans ces simples gestes que le pardon l’emportait sur le péché et que la vie aurait le dernier mot sur la mort.  Plus tard, leurs successeurs manifesteront la même incompréhension en  divisant les églises au sujet des paroles prononcées ce soir là.

Au lieu de m’attrister, ces réflexions m’encouragent à porter les regards  au-delà du cercle des douze. Elles nous invitent à nous intéresser à ceux  que le récit a laissé à l’écart  et qui ont dressé la table. Sans eux la célébration dont les autres ont eu tant de mal à saisir le sens,  n’aurait pas eu lieu. Pour que nous comprenions  que la mort de Jésus  portait en elle un baume de guérison contre le péché, il a fallut qu’il y ait un porteur de cruche, il a fallu qu’il y ait un propriétaire de maison qui se soit affairé en secret pour tout préparer. Il a fallu aussi qu’il y ait deux disciples anonymes qui fassent une course relais dans les rues de la ville et déjouent les pièges des tueurs. Combien de fidélités non dites a-t-il fallu encore pour, apporter les provisions, aller chercher le pain et le vin. Qui a cuit le mouton ? Qui a fait et agi de telle sorte que tout soit prêt ? Nous ne le savons pas.

C’est intentionnellement que j’attire votre attention sur ces quatre hommes. Leur présence ici dans ce récit nous apprend, mieux qu’ailleurs que les limites de l’Eglises sont bien plus vastes que la communauté visible rassemblée autour du maître. Elle est bien plus vaste que le nombre de ceux qui sont recensés sur nos listes et que ceux que nous accueillons à la table que le Seigneur préside. Serviteurs zélés, nous organisons l’Eglise avec nos propres critères, nous regardons les hommes avec nos yeux d’humains et nous avons tendance à fermer les portes de nos sanctuaires pour que ceux qui sont sur le seuil ne perturbent pas nos saintes assemblées.

Au regard de ce texte on s’interroge pour savoir  qui est concerné par le mystère qui est ici raconté. Est-ce seulement les 12 rassemblés autour du maître  et qui dans quelques instants le trahiront ? Qu’en est-il du porteur de cruche qui, sans doute au risque de sa vie a guidé les deux anonymes vers la maison d’un troisième  qu’on ne connaît pas mais qui avait déjà tout préparé. Lui aussi  a risqué sa vie en hébergeant dans sa maison celui que la police recherchait pour le traîner devant le tribunal qui déciderait de sa mort ?
 
Curieusement, sur le fronton des églises,  on représente traditionnellement le Christ, les apôtres, et tous ceux dont la tradition a retenu les noms. Y a-t-il une seule Eglise au monde  qui ait osé mettre sur son tympan ou tout simplement à l’entrée de son sanctuaire l’image d’un homme portant une cruche ? C’est pourtant grâce à un tel homme que Jésus a pu accomplir ce geste que nous répétons tant de fois et par lequel nous  redécouvrons chaque jour que dans la mort du Christ se trouve une espérance de vie  pour toutes les nations.

Si quelqu’un voulait reconstituer l’intrigue policière dans laquelle ce drame s’est joué, si quelqu’un voulait inventer l’histoire de cet homme pour lui redonner vie,  peut être  ferait-il de lui un nouvel apôtre  et peut être ferait-il du  récit de ce compagnon anonyme de Jésus  un best seller.

(1)   Cet homme pourrait être Jean l’Evangéliste, notable de Jérusalem, gagné à la cause de Jésus, qui fait tout pour lui faciliter la tâche et qui aurait assisté dans la cour du grand prêtre à la suite des événements. C’est la thèse que défend  Jean-Christian PetitFils dans son livre sur la vie de Jésus « Jésus » paru aux éditions Fayard en janvier 2012

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