Luc 4 :14-30 : Le sermon à Nazareth - dimanche 27 janvier 2013
14 Jésus retourna en Galilée, avec
la puissance de l'Esprit ; le bruit s'en répandit dans toute la région. 15
Il enseignait dans leurs synagogues, et il était glorifié par tous.
16 Il vint à Nazareth, où il avait été élevé, et il se rendit à la
synagogue, selon sa coutume, le jour du sabbat. Il se leva pour faire la
lecture, 17et on lui remit le livre du prophète Esaïe. Il déroula le livre et
trouva le passage où il était écrit :
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi,
parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux
pauvres ;
il m'a envoyé
pour proclamer aux captifs la délivrance,
et aux aveugles le retour à la vue,
pour renvoyer libres les opprimés,
19 pour proclamer une année d'accueil de la part du Seigneur.
20 Puis il roula le livre, le
rendit au servant et s'assit. Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient
fixés sur lui. 21Alors il se mit à leur dire : Aujourd'hui cette Ecriture,
que vous venez d'entendre, est accomplie.
22 Tous lui rendaient témoignage,
étonnés des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche ; ils
disaient : N'est-ce pas le fils de Joseph ? 23 Il leur dit :
Certainement, vous me citerez ce proverbe : Médecin, guéris-toi toi-même ;
tout ce qui s'est produit à Capharnaüm, selon ce que nous avons appris, fais-le
aussi ici, dans ton pays ! 24 Il leur dit encore : Amen, je vous le
dis, aucun prophète n'est bien accueilli dans son pays. 25 En vérité, je vous
le dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, lorsque le
ciel fut fermé trois ans et six mois et qu'il y eut une grande famine sur tout
le pays ; 26 et cependant Elie ne fut envoyé vers aucune d'elles, mais
vers une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon. 27 Il y avait aussi beaucoup
de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée ; et cependant aucun
d'eux ne fut purifié, mais Naaman le Syrien. 28 Lorsqu'ils entendirent cela,
tous, dans la synagogue, furent remplis de fureur. 29 Ils se levèrent, le
chassèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la
montagne sur laquelle leur ville était construite, afin de le précipiter en
bas. 30 Mais lui passa au milieu d'eux et s'en alla.
En intervenant dans
la synagogue de Nazareth, au tout début
de son ministère, Jésus semble vouloir mettre
en place le programme qu’il a l’intention d’accomplir pendant les années qui vont
suivre. A-t-il l’intention de bousculer
la vie spirituelle de ses contemporains, de contester le culte établi tel qu’il se déroule dans les synagogues et
au Temple de Jérusalem ou a-t-il
l’intention d’instaurer un nouvel ordre social ? On s’est toujours demandé si Jésus projetait
d’établir son Royaume sur des bases purement spirituelles ou s’il avait un
projet politique qu’il n’a pas pu réaliser. Bien évidemment les exégètes qui se
sont penchés sur la question ont plutôt cherché à voir en lui un Messie qui se serait
situé dans la ligne des grands prophètes
et qui aurait cherché à présenter Dieu sous un visage plein de tendresse,
différent de celui qui transparaissait au travers de l’enseignement légaliste
des pharisiens et des docteurs de la loi.
Les prophètes de
jadis avaient ouvert l’avenir sur une
espérance qui devait se concrétiser par un renversement des valeurs. Ils
annonçaient une ère de paix et de prospérité où il n’y aurait plus de violence,
les famines cesseraient, les différences entre les classes sociales seraient
abolies et la gloire de Dieu serait
révélée par le bien être pour tous. L’histoire allait cependant à contre sens de
ces espérances et poussait le monde dans une autre direction. Exil, guerres,
déportation, pouvoir tyrannique étaient en
toile de fond de la vie des croyants. Le Dieu en qui ils espéraient n’était
accessible que par l’application rigide de la loi telle que les pharisiens
l’enseignaient. Il restait caché dans le Temple où les sacrifices et les
pèlerinages maintenaient les distances.
Les factions
rivales qui divisaient le monde
religieux préconisaient plutôt la violence que la patience et la persuasion
pour défendre leurs idées. La sainteté des grands prêtres était contestée et le
peuple ne pouvait espérer un changement que dans la venue d’un Messie
annoncé par de nombreuses sectes en
rupture avec l’ordre établi. Déjà plusieurs portraits du Messie attendu, tous
différents les uns des autres, circulaient dans le monde de tous ces marginaux.
Telle était l’ambiance au moment où Jésus se présenta à la porte de la
synagogue de Nazareth.
L'Évangéliste Luc,
qui relate l’épisode, a bien pris soin de dire que l’Esprit saint était à l’œuvre
et que c’est lui qui poussait Jésus à agir comme il le fit. Jésus ne se
présente pas d’emblée comme un
provocateur en train de susciter un désordre dans la synagogue. Au contraire, il
se montre très respectueux du rite établi. Il attend qu’on l’invite à prendre
la parole et il lit l’Ecriture seulement quand on lui a remis le rouleau qui,
bien entendu n’est pas celui de la Tora, qui a été sans doute lu à un autre
moment par un notable. Celui que Jésus a lu
est un écrit des prophètes qui ne jouit pas de la même autorité que la
Tora. En fait les choses se sont passées comme il est d’usage qu’elles se
passent. Jésus a été considéré comme un
visiteur de passage avec qui il est normal d’agir comme on l’a fait. Jésus n’opère quant à lui
aucune perturbation dans l’ordre du culte.
Il lit sans doute
le texte prévu pour ce jour-là, referme le livre et le rend au desservant. Il
n’y a rien que de très normal dans tout cela. Il est normal aussi qu’il fasse
un commentaire sur le texte qu’il vient de lire. Par contre il ne semble pas
qu’il adresse les premières paroles de son commentaire aux auditeurs qui
fréquentent habituellement la synagogue et qui ne le connaissaient pas, mais aux
lecteurs de l’Evangile, c’est à dire vous et moi qui connaissons la suite des
événements. Nous allons y revenir. Les fidèles quant à eux, sont
séduits dans un premier temps, mais se mettent vite en colère quand ils comprennent
que la prédication de Jésus, si il est
le Messie attendu, ne leur réserve pas une place à part dans le projet de Dieu.
Ce sera le sujet d’une autre méditation.
Pour ce qui nous
concerne maintenant, c’est le message que Jésus nous adresse à nous par le
truchement de son intervention à Nazareth. Jésus ne commente pas tout de suite
le texte, mais il se l’approprie. Il procède comme si l’Esprit qui avait
inspiré Esaïe jadis est maintenant sur lui, si bien que le programme qui avait
été élaboré 4 siècles plus tôt par le
prophète pour annoncer les temps
messianiques devient son propre programme qu’il se propose de le réaliser à
partir de ce moment-là. Jésus endosse alors, plutôt le costume du Messie révolutionnaire que
celui du réformateur religieux.
Pour le moment
contentons-nous de constater que le programme que Jésus se donne consiste à proposer
une réforme sociale sans pareille. En empruntant mot pour mot son programme à
Esaïe il tend à montrer que ce programme est celui que
Dieu propose aux hommes depuis toujours. Il fait donc partie du
programme de Dieu depuis la création du monde.
Ce programme, vous
l’avez noté, concerne l’épanouissement de la personne humaine sur tous les plans,
aussi bien le plan moral que le plan physique. Il concerne les échecs de la vie
affective qui seront réparés, mais aussi
les brutalités et les violences faites
aux individus. Il s’agit aussi de combattre les infirmités physiques comme la cécité. Bien
entendu le droit au pain quotidien n’est pas oublié. Une telle réforme trouve
ses origines dans la Loi de Moïse elle-même dont il rappelle les préceptes dans
son dernier point. Elle prévoyait en effet une année de grâce du Seigneur tous
les quarante-neuf ans. Cela consistait à
remettre les pendules à l’heure en
abolissant les dettes, en affranchissant les esclaves et en faisant une
redistribution générale des terres. On ne connait pas de récit qui rapporte que cette règle fut
mise un jour en application, mais peu importe, Jésus l’utilise comme argument pour engager
une réforme immédiate.
Bien souvent les
commentateurs de l’Evangile ne s’appesantissent pas sur cette partie du programme de Jésus. Ils
préfèrent commenter l’émeute que provoqua son commentaire parce qu’il n’envisageait pas que
les gens de Nazareth puissent bénéficier d’une faveur particulière de la part
de Dieu. A la suite de ce texte, on n’a
pas vraiment retenu l’idée que Jésus pouvait avoir l’intention de réaliser ce programme social, puisqu’il fréquentait
les riches chez qui il mangeait et qu’il
en comptait certains parmi ses amis.
Pourtant un certain
nombre de textes du Nouveau Testament semblent dire le contraire. Il nous
suffit de nous reporter au début du livre des Actes pour constater que la
première Eglise s’est appliquée ce programme à
elle-même et qu’elle a authentiquement essayé de le mettre en pratique.
Si en fin de compte cette tentative a échoué, c’est sans doute à cause des
persécutions qui n’ont pas permis qu’il se réalise, c’est aussi parce que
certains chrétiens, mal convertis et
trop avides, n’ont pas joué le jeu et ont cherché à satisfaire leurs propres intérêts.
Nous nous souviendrons aussi que le refus du partage des biens a tellement
choqué Paul à Corinthe qu’il nous a laissé une page mémorable sur l’indignité
de ceux qui célèbrent la sainte cène sans se soucier de la situation des plus modestes (1).
Après la mort de
Jésus l’Eglise a préféré renvoyer à plus tard, à la fin des temps, l’accomplissement de son programme
social, comme le firent les contemporains d’Esaïe. On s’est alors contenté de promouvoir l’idée
de pauvreté comme un accomplissement vertueux de l’Evangile. Mais on n’a pas
retenu l’idée que l’épanouissement de
chaque individu et l’égalité de tous
devant leur destin faisait partie de
l’impératif que Jésus avait inscrit en
tête de son programme en commençant son ministère. Si Jésus n’a pas réussi à
mettre cette révolution en œuvre, cela ne veut pas dire que ses disciples, à sa
suite n’auraient pas réussi s’ils l’avaient sérieusement tenté.
Bien évidemment mes
propos relèvent de l’utopie. Cette lecture n’a pas été vraiment retenue par les
commentateurs. Ceux qui ont fait une lecture allant dans ce sens se sont
fourvoyés. Ils ont essayé de créer des
communautés qui pour subsister sont devenues sectaires et autoritaires. Mais ce
n’est pas parce qu’un tel projet porte en lui son propre échec qu’il faut
négliger le fait que Jésus avait mis en tête de son projet le souci absolu du
prochain afin de donner à chacun les mêmes chances que les autres. Cela ne
souffrait sans doute pas d’exception. Faut-il alors comprendre que les
chrétiens sont invités à promouvoir l’idée d’une révolution sans précédent pour
que tous les hommes soient égaux sous le regard de Dieu et des hommes. Cette idée
était peut- être plus impérative que les sacrements eux-mêmes. Il est sans
doute permis de rêver !
.
(1)1
Corinthiens 11 :17-26
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