28 Huit jours environ après ces paroles, il prit avec lui
Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. 29 Pendant
qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et ses vêtements devinrent d'une
blancheur éclatante. 30 Il y avait là deux hommes qui s'entretenaient avec
lui : c'étaient Moïse et Elie 31 qui, apparaissant dans la gloire,
parlaient de son départ, qui allait s'accomplir à Jérusalem. 32 Pierre et ses
compagnons étaient accablés de sommeil. Réveillés, ils virent sa gloire et les
deux hommes qui se tenaient avec lui. 33 Au moment où ces hommes se séparaient
de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ;
dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. Il ne
savait pas ce qu'il disait. 34 Comme il parlait ainsi, une nuée survint et les
couvrit de son ombre ; ils furent saisis de crainte, tandis qu'ils
entraient dans la nuée. 35 Et de la nuée survint une voix : Celui-ci est
mon Fils, celui qui a été choisi. Ecoutez-le ! 36 Quand la voix se fit
entendre, Jésus était seul. Les disciples gardèrent le silence et ne
racontèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu'ils avaient vu.
Notre
inconscient véhicule l’idée que plus on s’élève dans les montages, plus
l’air se fait pur, plus les idées se font sereines, plus on se rapproche
de Dieu. C’est en regardant vers les hauteurs que celui qui adresse sa prière à
Dieu au psaume 121 se sent plus près de son Seigneur. " Je
lève mes yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours ?" Il
n’est donc pas étonnant, qu’ à la suite de Jésus, ses trois plus proches
collaborateurs lui emboîtent le pas et s’élèvent avec lui vers les sommets. Dans
leurs pensées, comme dans la nôtre, les sommets de la montagne se
confondent sans doute avec les sommets
de l’esprit. C’est sur ces sommets là, à n’en pas douter que Dieu nous
donne rendez-vous.
Les
auteurs de l’Evangile ont suivi la trace de quelques patriarches qui eux aussi ont entrepris des montées
mémorables dans des montagnes qui après leur passage devinrent sacrées. Ils y
firent des rencontres particulières avec Dieu et leurs successeurs après eux en
tirèrent des leçons telles qu’elles nourrissent notre âme encore aujourd’hui.
Rejoignons
donc le premier d’entre eux, Abraham cheminant solitaire avec ses deux
serviteurs et son âne. Il gravissait les pentes de la montagne au sommet de
laquelle Dieu l’attendait. Son fils suivait aussi sans un mot. Isaac ne
savait pas encore que Dieu avait convoqué son Père pour qu’il l’offre en
sacrifie lui, l’enfant du miracle. Alors que le Père des croyants
montait lentement pour accomplir son destin, il se rendait compte que Dieu
restait sourd à sa prière silencieuse. Il le suppliait secrètement
d’interrompre cette ascension qui devenait un véritable supplice pour lui. Le
vieillard, tout entier concentré dans ses pensées trouvait que l’exigence
de Dieu était bien dure et qu’elle avait même dépassée la limite du
supportable. Il montait toujours, recherchant plus la solitude que la
compassion.
Sa
femme était restée seule en bas, sous la
tente dans l’ignorance de ce qui se tramait. C’était entre Abraham et Dieu que
tout se jouait maintenant, c’est
pourquoi il laissa ses serviteurs au pied de la montagne avec l’âne. Il montait
toujours vers son Dieu qui lui réclamait son fils.
Arrivé
au sommet, Dieu n’était pas au rendez-vous ! En tout cas Abraham ne le
voyait pas. C’est au moment où il se
préparait à faire le geste fatal qu’il réalisa qu’il n’avait rien compris. Si Dieu lui demandait la vie de son fils, ce
n’est pas de sa mort qu’il parlait. Il lui demandait qu’il lui confie son fils pour le faire vivre. Il comprit
alors, que depuis toujours il avait méconnu ce Dieu qui était son ami. Il y eut
comme un sursaut de joie dans sa tête quand Dieu arrêta son bras et
que la lumière se fit en lui. Il comprit que Dieu avait fait monter son fils
avec lui, non pas pour le faire monter sur l’autel du sacrifice mais pour le faire monter vers lui afin de le prendre dans son cœur pour le faire vivre de son amour.
Pierre
Jacques et Jean montaient à la suite de Jésus. Leur esprit n’était
certainement pas encombré par les mêmes soucis que ceux qui
avaient agité les pensées d’Abraham. Ils espéraient sans doute
rencontrer Dieu sous un aspect qu’ils ne connaissaient pas encore,
mais qu’ils ne pouvaient encore imaginer. Longtemps avant eux, et c’était
encore dans la mémoire de tous, Moïse avait gravi une montagne, plus
redoutable que celle-ci, où grondait le tonnerre et dont le front
se perdait dans les nuages. Le Dieu qui l’habitait s’annonçait comme le
créateur de l’univers, il prétendait dominer les autres dieux et s’imposait à
eux. Il demandait l’adoration de tous et réclamait la soumission à sa
loi.
C’était
justement pour recevoir cette loi de ses mains divines que Moïse avait
entreprit de gravir la montagne. Lui aussi avait laissé ses compagnons en
chemin et avait achevé l’ascension solitaire. Au sommet il recueillit les
précieuses tables gravées en lettres de feu par le doigt même de Dieu. La
première proclamait l’unité de Dieu et réclamait son respect et son adoration.
L’autre table, semblable à la première, insistait sur le souci que l’on
doit avoir pour les autres, à commencer par ses proches. Ces préceptes demandant
l'amour du prochain avaient la même valeur que ceux concernant
Dieu. Celui-ci confondait en un même commandement l’adoration que chacun lui
doit avec le service que chacun doit rendre à tous ceux qui l’entourent
pour que leur vie devienne possible et féconde. C’était encore à
une célébration de la vie que Moïse était invité. Avec l’histoire de Moïse en mémoire nos
marcheurs poursuivaient leur route sans crainte ?
Leur
rencontre avec Dieu allait-elle se faire de la même façon qu’elle s’était faite,
jadis pour Élie, le prince des prophètes. Lui aussi avait fait une expérience semblable ? Un
croutons de pain dans la poche, une gourde d’eau à son côté, Il avait marché solitaire, pendant quarante
jours. Il fuyait la colère de la reine Jézabel qui en voulait à sa vie.
Il gravissait lui aussi, la montagne à la recherche de Dieu. Arrivé au
somment il ne le vit pas. Il n’était ni dans le vent, ni dans la tempête, comme
le récit de Moise l’avait laissé entendre. Il ne se cachait pas non plus, dans cet
horizon fascinant qui s’étendait à l’infini. Sans doute fut-il aussi tenté de
le chercher dans le coucher du soleil dont le rougeoiement sur le soir, embrase
l’horizon et nous plonge dans des ravissements ineffables ? C’est au fond d’une grotte, le visage couvert
de son manteau qu’il se rendit attentif
au souffle d’un faible zéphire dans
lequel Dieu se cachait. C’est ainsi qu’il se révéla à lui.
Certainement
c’est pour nous rentre témoignage de quelque chose qui le dépasse que
l’Evangéliste nous entraîne dans cette
aventure à la suite des trois amis de Jésus qui le suivent dans son ascension.
Jésus devant, les disciples ensuite et nous derrière
Ne
soyons pas étonnés si l’expérience de
Moïse et d’Elie se renouvelle et si nous
prenons part nous aussi à la vision à
laquelle ils participent. En arrivant au
sommet, ils voient les deux patriarches qui les ont précédés sur la montagne
car leur aventure est partie prenante de ce que Jésus a à leur dire, c’est un
enseignement par l’intuition et non par
les mots qu’il leur donne. L’expérience de Moïse et d’Elie devient leur
histoire et devient la nôtre en même temps. Une nuée enveloppe les trois
apôtres ainsi que le Seigneur, puis elle nous enveloppe, nous
aussi à notre tour. L’extase va-t-elle se prolonger ? Non, il faut
redescendre vers les hommes et se taire, car l’expérience vécue par eux leur
est propre. Chacun à son tour fera la sienne.
Ils
savent maintenant qui est Dieu et ce qu’il attend d’eux. Comme pour Élie le
Dieu qui se révèle à eux, ne se voit pas. Sa présence est d’une autre nature et
il n’appartient vraiment à aucun lieu. Dieu leur a fait comprendre qu’il se
tient toujours sur le chemin de ceux vers qui il les envoie en qualité de
prochain. Car cette vision ne leur a été
donnée que pour recevoir l’ordre de mission que Dieu leur donne. Mais ce chemin est
aussi celui du sacrifice.
A
peine descendu, Jésus prend la direction d’une autre montagne qui a nom
Golgotha où il fera le don de sa vie. C’est alors que nos trois
amis, ainsi que ceux qui graviront après eux la montagne à la
suite du Seigneur, se souviendront de l’image d’Abraham gravissant
solitaire la montagne. Ils allaient découvrir, même s’il ne le savait pas
encore, que le don de la vie ne signifie pas la mort, même s’il
passe par la mort. Il signifie la vie, la vie nouvelle que Dieu nous donne et
que nul ne peut nous ôter.
La
montagne que nous gravissons à la suite du Seigneur représente pour nous tous,
l’itinéraire que nous avons suivi avant de découvrir la foi. Il débouche en
plein ciel pour nous aider à comprendre que tout nous a été donné. Le don de la
vie que Dieu nous transmet s’accomplit dans le don de notre vie que nous allons
maintenant consacrer aux autres. Avec nous ils graviront
d’autres montagnes où Dieu renouvellera pour eux le don de la vie pour que
d’autres vies se construisent à leur suite. Cependant, si tout nous est donné,
même l’effort à faire pour arriver au sommet, l’étape ne s’arrête jamais là,
elle se poursuit dans la descente vers les autres où chacun mettra en
valeur le don de la vie qu’il a reçu.
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