dimanche 26 mai 2013

Luc 7:36- 50 et 8:1-3


Luc 7 :36-50 et 8 :1-3  -  Repas chez Simon  - dimanche  16 juin 2013

36  Un des pharisiens l'invita à manger avec lui. Il entra donc chez le pharisien et s'installa à table. 37Or une femme, une pécheresse de la ville, sut qu'il était à table chez le pharisien ; elle apporta un flacon d'albâtre plein de parfum 38et se tint derrière lui, à ses pieds. Elle pleurait et se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus ; elle les essuyait avec ses cheveux, les embrassait et répandait sur eux du parfum. 39En voyant cela, le pharisien qui l'avait invité se dit : Si cet homme était prophète, il saurait qui est la femme qui le touche et ce qu'elle est : une pécheresse.
40Jésus lui dit : Simon, j'ai quelque chose à te dire. — Maître, parle, répondit-il. 41— Un créancier avait deux débiteurs ; l'un devait cinq cents deniers et l'autre cinquante. 42Comme ils n'avaient pas de quoi le rembourser, il leur fit grâce à tous les deux. Lequel des deux l'aimera le plus ? 43Simon répondit : Je suppose que c'est celui à qui il a fait grâce de la plus grosse somme. Il lui dit : Tu as bien jugé. 44Puis il se tourna vers la femme et dit à Simon : Tu vois cette femme ? Je suis entré chez toi, et tu ne m'as pas donné d'eau pour mes pieds ; mais elle, elle a mouillé mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. 45Tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis que je suis entré, elle n'a pas cessé de m'embrasser les pieds. 46Tu n'as pas répandu d'huile sur ma tête ; mais elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. 47C'est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés sont pardonnés, puisqu'elle a beaucoup aimé. Mais celui à qui l'on pardonne peu aime peu. 48Et il dit à la femme : Tes péchés sont pardonnés.
49Ceux qui étaient à table avec lui commencèrent à se dire : Qui est-il, celui-ci, qui va jusqu'à pardonner les péchés ? 50Mais il dit à la femme : Ta foi t'a sauvée ; va en paix.   
.
1Par la suite, il se mit à cheminer de ville en ville et de village en village ; il proclamait et annonçait la bonne nouvelle du règne de Dieu. Les Douze étaient avec lui, 2ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies : Marie, celle qu'on appelle Madeleine, de qui étaient sortis sept démons, 3Jeanne, femme de Chuza, intendant d'Hérode, Susanne, et beaucoup d'autres, qui utilisaient leurs biens pour les servir.




Apparemment anodine, cette histoire cache de nombreux pièges. Elle a été reprise par les autres Evangiles et insérée dans des contextes différents, si bien qu’on s’enferrerait à vouloir les comparer. Nous chercherons cependant  à emprunter à l’occasion  l’une ou l’autre de leurs approches.  A mesure de la lecture de ce texte nous verrons des pièges s’ouvrir sous nos pas et nous verrons certains des acteurs changer de visage.  Nous admirerons le talent de l’évangéliste Luc qui nous amène à découvrir par nous-mêmes ce qu’il ne nous dit pas, mais qu’il nous suggère cependant.



Nous allons entrer dans ce texte comme  si  nous étions investis  d’une enquête policière. Nos conclusions cependant ne nous amèneront pas à confondre un coupable, mais à découvrir une vérité sur Jésus et sur nous-même.



Qui est ce Simon chez qui Jésus est invité ? Nous ne le savons pas, mais le personnage est ambigu. Il nous est présenté comme un riche pharisien à l’esprit ouvert. Mais en invitant Jésus à sa table en présence d’autres convives  il a une idée derrière la tête.  La présence des invités va amener Jésus à tenir ses propos  en public, ce qui signifie qu’ils seront répétés, amplifiés, déformés peut-être. J’anticipe déjà sur la suite du récit par cette remarque désobligeante. Quant à la femme  qui s’est introduite sur les lieux,  deux hypothèses peuvent être retenues sur l’origine de  sa présence.  La première serait d’imaginer qu’on l’a laissée entrer en espérant qu’elle créera un incident qui discréditerait Jésus. La deuxième serait   de penser que  la femme  a pénétré sur les lieux à la faveur de la foule nombreuse qui se pressait déjà au repas et dont on n’a pas remarqué tout de suite la présence.  Dans ce cas nous en  en conclurons que Simon était  riche et nous ne serons pas étonnés si l’argent  joue un rôle important dans l’histoire.  



En dépit de l’ambiance apparemment amicale dans  laquelle s’ouvre ce récit, on peut déjà soupçonner un piège. Comme nous le verrons par la suite le soupçon jouera un rôle important dans cette affaire.  Le contexte nous donne à penser que Simon s’interroge sur la vraie nature de Jésus. Il se demande  s’il est un prophète, mais déjà il en doute, sans quoi il l’aurait reçu  avec les égards que l’on réserve à un homme de marque. Jésus le lui fait cruellement remarquer. Il dresse même la longue   liste des manquements à l’hospitalité à son égard.  Tout cela justifie l’impression que nous avons, d' entrée de jeu, que Simon et Jésus  vont s’affronter sans se ménager, car l’ambiance n’est finalement  pas à la franche fraternité.



Dans ce récit, il n’est nullement  question de Dieu. Le fait qu’il ne soit pas mentionné laisse entendre qu’il n’est pas invité et que le piège était déjà  en place. On attendait donc  Jésus sur un autre terrain que celui de la foi.  Il nous faudra quand même repérer la présence de Dieu,  car s’il  ne jouait aucun rôle, ce texte n’aurait  pas de raison d’être dans l’Evangile.



L’invité pour qui le repas a été préparé est Jésus. Mais vous avez remarqué qu’on n’y mange pas. Il semblerait que très vite Simon va exprimer son regret  d’avoir invité Jésus car une autre invitée s’est introduite sur les lieux du repas et sa présence va fausser les cartes. Si elle n’était pas désirée, pourquoi l’a-t-on laissée entrer et pourquoi est-elle venue ?  Pour honorer Jésus !  Mais une telle attitude publique était-elle possible de la part d’une prostituée ? On notera qu’elle n’a fait aucune demande de pardon, et si en fin de récit, elle est quand même pardonnée, ce n’est pas sur sa demande. Le geste  qu’elle a accompli reste au centre du récit,  mais on n’en sait pas la cause réelle pour l’instant.  Le doute plane.



Les autres Evangiles qui rapportent l’événement dans un autre contexte suggèrent qu’il s’agit d‘un acte prophétique annonçant la mort de Jésus, mais ce n’est pas le cas ici. Pour l’Evangile  de Jean,  la femme serait Marie, la sœur de Lazare qui éprouvait pour Jésus une profonde amitié. Même si dans le récit de Luc, il ne s’agit absolument pas de la même femme, et même s’il n’est pas question de chercher à harmoniser les textes, cependant  ce rapprochement nous permet de nous demander si l’amour ne va pas jouer  un rôle important dans cette histoire. Ne serait-il pas le véritable invité ?



La femme s’est invitée seulement parce qu’elle voulait  faire un geste d’amour à l’égard de Jésus semble-t-il. Si elle avait été Marie, sœur de Lazare comme le dit le texte de Jean, on serait resté dans le cadre de  la bienséance, et il n’y aurait pas eu de commentaire.  Mais ici, s’il s’agissait d’une prostituée, cela apporte un autre éclairage à ce passage et Simon en profite pour exprimer ses doutes sur Jésus. Il le soupçonne   de ne pas être le prophète qu’il croyait. Était-ce pour mettre cela en évidence qu’il avait été invité avec un tel public ? Si c’était le cas, c’était manqué car à la fin du récit on se demandera  au contraire si Jésus n’était pas plus qu’un prophète puisqu’il se permet de pardonner  la pécheresse qui n’en a même pas fait la demande.



Mais Simon n’en est pas quitte pour autant. Il s’est drapé dans le manteau rigide de sa morale et adresse à Jésus un regard oblique. Jésus lui tend une perche pour qu’il s’en sorte. Il lui  raconte une parabole qu’il adapte à sa situation. Il va s’agir d’argent et d’amour. Peuvent-ils faire bon ménage ?  Oui, va dire Simon, plus l’argent  sera mis au service des autres, plus l’amour qu’il apportera sera grand.  On sait que Simon jouit d’une certaine fortune et qu’il peut comprendre la situation. S’il a beaucoup d’argent, il n’a pas jusque-là manifesté beaucoup d’amour.  Il ne l’a pas fait  en accueillant Jésus au minimum des règles de l’hospitalité, à la différence de cette femme qui en lui offrant son parfum n’a pas su contrôler le débordement de son amour. Il est dit alors, et cela découle de l'interprétation que Simon a faite de la parabole que Jésus lui a racontée  que la  femme a plus aimé Jésus que lui.



Le récit pourrait s’arrêter là, mais les murmures s’élèvent dans les rangs des assistants. Ce n’est pas dit, mais leur indignation est si forte qu’on la sent au travers de ce qui n’est pas dit. Si le récit s’arrêtait là, la morale ne serait pas sauve. Jésus ne pourrait  pas recevoir des marques d’amour d’une prostituée, sans que cela déclenche un incident,  c’est pourquoi l’Evangile de Jean avait attribué le geste à Marie, si non le scandale aurait traversé les siècles  et continuerait à nous émouvoir.



Ici, Jésus doit  donc aller plus loin et donner le coup de grâce. Il prononce le mot inattendu dans une telle situation, celui de pardon. L’amour  de cette femme est  tel qu’elle ne peut pas ne pas être pardonnée. Une femme capable d’un tel amour ne peut pas rester enfermée dans ses péchés. C’est ce que pense Jésus. Il ne dit pas non plus de quelle nature sont ses péchés. Il y a fort à parier que sur ce point Jésus et Simon ne sont pas du même avis..



Qui peut pardonner dans une telle situation si non Dieu ? Dieu n’était pas vraiment invité, nous l’avons vu, mais on ne peut exclure Dieu qui s’impose, même quand on ne l’attend pas. Ce sont les paroles de Jésus qui imposent sa présence. Si  Jésus n’est plus le prophète que Simon avait invité. Il dépasse ce rôle. Il devient le témoin de Dieu et son ministère se confond avec le sien. L’amour prend alors le pouvoir sur tous les esprits. Il a le pouvoir de permettre à une prostituée de passer devant un pharisien au regard de Dieu, car tout individu capable d’aimer a priorité dans le cœur de Dieu, même si, comme on pouvait le soupçonner les relations de la femme avec Dieu étaient distantes ou même inexistantes.



A notre tour d’entendre Dieu nous interpeller, car même s’il n’était pas invité, c’est quand même lui qui s’est imposé et qui prononce pour nous, maintenant  le mot de la fin : Es-tu capable d’aimer au point de dépasser la morale des hommes ou la morale de la société ? Es-tu capable de mettre ton argent ou tout ce qui est précieux pour toi au service de l’amour des autres ?  Si tu en es capable, tu es tout proche de Dieu, même si tu ne le sais pas.

Illustrations: Philippe de Champaigne (1602-1674)  Musée des Beaux-arts, Nantes




Aucun commentaire: