vendredi 1 novembre 2013

Luc 23:35-43



Luc 23:35-43 - le Bon Larron dimanche 24  novembre 2013



Luc 23 :35-43

Le peuple se tenait là et regardait. Quant aux chefs, ils raillaient (Jésus) en disant : Il a sauvé les autres ; qu'il se sauve lui-même, s'il est le Christ élu de Dieu ! 36 Les soldats aussi s'approchèrent pour se moquer de lui et lui présenter du vinaigre 37 en disant : Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! 38 Il y avait au-dessus de lui cette inscription : Celui-ci est le roi des Juifs.


39 L'un des malfaiteurs suspendus en croix blasphémait contre lui : N'es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous ! 40 Mais l'autre lui fit des reproches et dit : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? 41 Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos actes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal. 42 Et il dit : Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne. 43 Jésus lui répondit : En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis.




« Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne ! - Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis ! »


Tout le mystère du salut se joue dans ces paroles ultimes qui unissent deux  hommes dans la mort en la rendant moins terrible. Elles ont un effet créateur et entraînent les deux condamnés dans l’éternité. Et nous sommes invités à les suivre, sans pour autant participer à leur supplice, mais en partageant avec eux cette immense espérance qui jaillit de ce texte et qui oppose un cinglant  déni à la mort qui s'est habillé d'horreur pour mieux nous désespérer. Ici pas de faute d’Adam à expier, pas de théorie du rachat, la simple parole qu’un supplicié adresse à un agonisant. La réponse débordant d’amour du second place l’autre qui ne s’y attend pas dans les mains de Dieu. C’est alors que tout est dit.


Une partie du voile   sur le mystère du salut vient d’être soulevée.  Nous rejoignons la foule qui sans le savoir encore participe à son propre salut. Nous nous tenons silencieux, à notre tour au-pied de la croix en espérant que la suite ne contredira  pas ce que nous sommes en train de comprendre.  Toutes les pensées sur la mort et le salut que nous avons jusqu'ici refoulées  se bousculent  dans notre esprit et trouvent une réponse aux questions qu'elles posent.


En  cet instant , où affluent à notre esprit toutes ces  impressions qui ont nourri notre espérance, nous  ne pouvons nous empêcher de faire le bilan de ce que nous croyons. Nous espérons que  notre vie n’aura pas été vaine et que notre passage sur terre aura été utile à quelques-uns. Nous osons même espérer davantage et nous nous demandons, peut-être inconsciemment ce qu’il y aura après notre vie et  même si, le cas échéant,  nous aurons part à cet après. Est-ce cela que les gens de la religion appellent le salut ?


Dans  le récit de la  crucifixion tel que le rapporte l’Évangile de Luc. Les témoins présents sont également habités par cette idée de salut, mais ils ne semblent pas  trouver  de réponse  dans l'événement qu'ils sont en train de vivre.  Les chefs du peuple insultent Jésus en disant  qu’il a sauvé les autres, pourquoi ne se sauve-t-il pas lui-même ? Les soldats qui vocifèrent crient la même chose et  un de ses compagnons de supplice tient les mêmes propos. Même ceux qui restent debout en silence  et qui ont cru au salut qu’il annonçait ressentent une émotion en constatant que le salut qu’ils ont pu espérer semble leur être refusé. La mort du condamné est en train d’anéantir pour eux, toute velléité de croire au salut.


Pour  les chefs du peuple cette mort est plutôt une bonne chose, car elle apportera un retour à l’ordre public,  pour eux, il ne peut pas y avoir de salut dans le désordre. Seule l’autorité en est garante. Ce sont eux qui s’arrogent le droit de penser juste et ceux qui pensent autrement sont considérés comme subversifs. En provoquant du désordre, Jésus ne pouvait être, selon eux, que subversif, il ne pouvait donc pas apporter le salut. Bien évidemment, les soldats, partisans de l’ordre tiennent le même raisonnement. Quant au condamné qui l’insultait,  il exorcise son échec, sa souffrance et sa haine par l’insulte, mais il ne croit pas lui non plus à un salut  quelconque.


La  foule, qui un jour à peut être cru au salut qu’il annonçait ne comprend pas, elle  se tient à l’écart, et attend. Elle ne dit rien, elle ne vocifère pas comme le fait habituellement la foule quand elle assiste à une exécution. En  fait, elle est témoin de quelque chose qui la dépasse car rien ici n’est normal. Les chefs du peuple, qui ont ordonné la peine,  se taisent.  Et  le peuple, avide de ces spectacles, et qui habituellement  manifeste bruyamment se tait. Tout se passe comme si cet événement, somme toute assez banal pour cette époque, allait changer quelque chose à la face du monde. La foule attend avons-nous dit, mais elle attend quoi ?


Sur  l’écriteau dérisoire suspendu à la croix, il est écrit : « celui-ci est le roi des juifs » L’autorité romaine s’est servie de cette exécution pour soumettre encore davantage le peuple juif opprimé. Cela veut dire qu’on ne tolère pas d’autre autorité que celle du pouvoir occupant. Depuis bien sûr, on a essayé de tirer profit de cette inscription. L’histoire et la tradition ont voulu renverser les valeurs. On a vu en Jésus un roi déconsidéré par les hommes mais accrédité par Dieu. Il est présenté comme la victime passive résistant à la violence humaine et portant sa victoire dans sa faiblesse. On a sans doute eu raison. La résurrection va cautionner cette interprétation en montrant que Dieu s’appuie sur les faiblesses du monde pour cautionner les forces apparemment dérisoires qui s’opposent à lui.


On  peut alors développer l’idée que pour être  agréés par Dieu, les représentants du pouvoir  doivent ressembler à Jésus et exercer leur autorité selon son Évangile. Ils devraient se ranger dans le camp des faibles, des pauvres et des démunis et  leur rendre justice. Ils devraient ressembler à ce roi dont Marie nous fait le portrait dans le Magnificat : « Il a fait descendre les puissants de leur trône, il a élevé les humbles et rassasié de bien les affamés, il a renvoyé à vide les riches … »


Nous comprenons bien que les fidèles de Jésus, après sa mort devront  veiller à ce que les souverains qu’ils reconnaîtront devront agir comme on vient de le dire et que la mort de Jésus inaugure une autre manière de gouverner. L’expérience nous a montré qu’une telle entreprise s’est avérée impossible et que ceux qui gouvernent aujourd’hui continuent à ressembler à ceux qui régnaient avant Jésus.  Alors, si rien n’a vraiment changé, en quoi tout  cela est-il porteur de salut pour nous ?


Nous ne savons pas vraiment. Nous comprenons d’autant moins que nous savons la suite, et que depuis des siècles cette suite dérange. Elle dérange parce que malgré tout ce qu’on en a dit, rien n’a changé. Certes nous pensons, puisque c’est l’usage et que la théologie officielle le dit, que dans cet événement,  Jésus est en train de nous sauver. Mais comme la foule, nous ne comprenons pas forcément ce que cela signifie.


En  effet, nous sommes accessibles aux grandes idées humanitaires, nous comprenons bien volontiers que Dieu nous invite à modifier les règles qui régissent le monde et à faire tout notre possible pour que les notions de partage et d’égalité soient la nouvelle règle de gestion des affaires. Certains parmi-nous sont prêts à descendre dans la rue et à faire la révolution pour que les choses changent, mais tout cela ne répond toujours pas à la question qui parcourt tout ce passage : qu’est-ce que le salut ?


Nous avons bien compris que c’est dans la relation de Jésus avec celui qu’il est d’usage d’appeler le « bon larron » que nous pourrons esquisser une réponse:


" Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton règne " dit-il à Jésus agonisant. Depuis le début de cette affaire Jésus n’avait pas bronché quand on l’insultait, il portait en lui l’empreinte de l’amour qui avait été la base de son enseignement.  Il avait élevé au rang de précepte divin  le respect de l’autre quel qu’il soit. Il essayait de finir comme il avait vécu en manifestant tout l’amour qui était en lui. Et à cause de tout cela, il ne disait rien.


Pas  de haine, abandon total de ressentiment ! Pouvait-il aimer davantage une humanité hostile qui se coalisait contre lui? La seule attitude possible était le silence. Au point où il en était, l’oubli de soi et le don de soi consistait à se taire, à ne pas se plaindre et à ne pas geindre.


C’est à ce moment là que son compagnon d’infortune a pu le rejoindre au plus profond de lui-même. Il se produit alors, un miracle sublime qui surgit de ce climat d’horreur et qui fait jaillir l’espérance du néant. La force d’amour qui habite Jésus se manifeste comme capable d’entraîner dans la vie, celui qui agonise avec lui. Alors que la mort est en train de faire son œuvre, la présence de Jésus réussit à entraîner son co-supplicié dans une nouvelle dimension de sa vie. Jésus réussit à créer en lui la certitude que l’amour qu’ils partagent en cet instant ne sera pas englouti dans la mort. Il est donc évident que ce récit nous a été rapporté pour nous dire  que si  l'amour de Jésus a été capable  de mettre dans l'esprit d'un agonisant supplicié,  l'idée que la mort n'était pas au terme de sa vie, il en est et il en sera  de même pour nous.


Ce  n’est pas facile à comprendre, mais il me semble que le salut consiste à savoir que l’amour de Dieu, tel qu’il a été manifesté en Jésus est plus fort que la mort. La mort ne peut pas détruire en nous les marques d’amour de Dieu que Jésus y a déposées.


Est ce cela le salut ? Est-ce cela la vérité ? Est-ce cela la résurrection ? Il appartient maintenant à chacun de mettre à cet endroit  le mot que sa foi lui inspire.
Les images sont de Gustave Moreau

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